Affiche française
CAMP 731 | HEI TAI YANG 731 | 1988
Affiche originale
CAMP 731 | HEI TAI YANG 731 | 1988
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Camp 731

Hei tai yang 731

Jusqu'alors, je ne connaissais rien de l'holocauste chinois perpétré par les Japonais dans les années 30 et 40. Grâce à "Hei Tai Yang 731", j'ai découvert un pan méconnu de l'horreur du 20ème siècle. Celui-ci n'a toujours pas été reconnu officiellement par le gouvernement japonais, qui refuse encore de l'intégrer dans son programme d'histoire. Tout comme l'holocauste juif, il fait également l'objet d'un constant révisionnisme de la part de certains nationalistes.

Au départ, Tun Fei Mou voulait réaliser un pur documentaire. C'est seulement lorsqu'il découvrit que les autorités japonaises avaient détruit la plupart des preuves filmées par les tortionnaires du Camp 731 eux-mêmes, qu'il décida de tourner un film, premier volet d'une trilogie aujourd'hui encore inachevée : "Black Sun". Un élément qui devrait nous permettre de ne pas faire de comparaison avec "Nuit et Brouillard" d'Alain Resnais (1955), ou "Shoah" de Claude Lanzmann (1985), œuvres incontournables sur le génocide juif qui ont pu être réalisées, notamment, grâce à une relative disponibilité d'informations, ce qui ici n'est pas du tout le cas.

Tun Fei Mou n'est donc pas un "réalisateur infâme" dont le film "donne racoleusement dans le genre gore", comme j'ai honteusement pu le lire ici et là sous la plume de poseurs décérébrés (d'ailleurs, assimiler le gore au racolage est pure idiotie, l'aseptisation étant à coup sûr plus vendeuse en matière d'horreur). Son film est une reconstitution historique qui, par le caractère même des événements qu'elle dénonce et la nécessité qui s'est imposée de passer par la mise en scène, est devenu un film d'horreur, mais IL N'EST EN AUCUN CAS UN FILM D'EXPLOITATION ET DE DIVERTISSEMENT.

CAMP 731 | HEI TAI YANG 731 | 1988

Le Camp 731 fut établi en secret par l'armée d'occupation japonaise dans le district de Ping Fang, province de Harbin, dans le nord-est de la Chine. Dès le début de la seconde guerre sino-japonaise (1937-1945), il fut le terrain d'expérimentations chimiques et bactériologiques sur des sujets humains, essentiellement des prisonniers de droit commun condamnés à mort. L'entrée du Japon dans la seconde guerre mondiale intensifia le rythme et l'ampleur des expériences, qui touchèrent alors l'ensemble des habitants de la région, mais aussi des prisonniers chinois, coréens et russes. En février 1945, la défaite s'annonçant imminente, le gouvernement japonais envoya le médecin militaire Ishii Shiro pour prendre le contrôle des opérations. Sa mission : mettre au point dans les plus brefs délais une arme biologique de destruction massive. C'est à ce moment précis que commence le film de Tun Fei Mou.

Comme en atteste un nombre croissant d'études et de témoignages parus depuis l'ouverture des archives manuscrites russes et américaines à partir de 1982 (archives que le réalisateur a lui-même consulté quatre années durant avec l'aide de son épouse anthropologue et enseignante à l'Université de Hong Kong, puis New York), les atrocités qui nous sont montrées avec une horreur croissante dans "Hei Tai Yang 731" ont réellement été commises par les médecins et militaires japonais sur les cobayes humains appelés "marut" ("bûches"), et ce dans des proportions bien plus épouvantables que dans le film.

Le peu qu'en a reconstitué Tun Fei Mou a pourtant suffi à provoquer scandales, rumeurs et malentendus, au point de reléguer son œuvre au rang d'un "Shock Video" parmi d'autres (la distribution par Haxan Films et Japan Shock favorisant la confusion), et de détruire quasi irrémédiablement la carrière de son auteur. Ce dernier n'a pourtant rien voulu faire d'autre que rendre visible ce qui avait été caché durant près de trente années : crier la vérité, avec tout ce que cela suppose de maladresse et de sincérité.

Après les quelques uniques images d'archives qui ont pu être retrouvées, on se rend compte que la réalisation est d'un classicisme sobre et naïf, à des kilomètres de vouloir en mettre "plein la vue". La manière de filmer s'apparente davantage à un film de la fin des années 60 qu'à un film des années 80. Et la raison en est simple : en dehors de cours de cinéma suivis dans une école de cinéma taïwanaise qui se bornait à la théorie, Tun Fei Mou n'a appris à faire du cinéma qu'en regardant ses films favoris (et autorisés) plan par plan jusqu'à 30 fois d'affilée. Pour le reste, ses débuts dans l'industrie cinématographique passèrent par des postes d'assistants sur des films de propagande. On en retrouve les manies dans sa façon d'illustrer le caractère des personnages par des images saisissantes et des dialogues explicites, et une efficacité indéniable à donner à chaque scène un relief et un sens clair et précis.

"Hei Tai Yang 731" n'est pas pour autant un film de propagande commandé par le gouvernement chinois et destiné à exciter la haine anti-japonaise, tout au contraire. Si Tun Fei Mou a obtenu les fonds d'un producteur dont la famille a été victime de l'envahisseur japonais (Fu Chi, et non pas le gouvernement chinois lui-même), il a pourtant exigé une autonomie complète pour le tournage et le contenu du film (seule la musique, qu'il déteste et qui est d'ailleurs affreusement décalée, lui a été imposée).

La totalité des membres du gouvernement chinois ont désapprouvé cette initiative et tenté d'y mettre un terme, arguant du fait qu'une telle œuvre ne pouvait que nuire, en 1988, aux relations entre la Chine et le Japon, partenaire privilégié pour le développement économique chinois. Dans les films de propagandes modernes, il est fréquent de voir des histoires d'amour entre une civile chinoise et un officier japonais, ou l'inverse, mais certainement pas de raviver de douloureux souvenirs susceptibles de gâcher la bonne ambiance diplomatique. Tun Fei Mou ne réussit à obtenir l'autorisation de tourner son film qu'après avoir adressé au secrétaire général un courrier contenant le scénario en caractère gras accompagné de cette phrase : "Si vous refusez, vous serez un traître à votre pays !". Inutile de le dire : quand on connaît la façon dont le gouvernement chinois résout les oppositions internes, il fallait une sacrée motivation.

Accuse-t-on les dénonciateurs de l'holocauste juif d'exciter à la haine anti-allemande ? Non. Mais "Friendship is friendship, history is history", comme le dit le début de "Hei Tai Yang 731".

Tun Fei Mou prouve d'ailleurs tout au long de son film (et il le confirme dans ses interviews) qu'il n'a aucunement voulu provoquer la haine envers le peuple japonais. Du début à la fin, "Hei Tai Yang 731" confronte en effet les atrocités ordonnées par les médecins militaires au regard des adolescents fraîchement recrutés dans l'unité. Obligés de regarder et de sévir "pour le bien de la nation", ils perdent leur innocence d'enfant (au début du film, leur mauvais traitement d'un petit clochard chinois correspond à une conviction sincère de lui apporter quelque chose, façon rude d'idéaliser leur rôle, mais pure illusion quand même, et qui va rapidement disparaître). Ils ne sont pas responsables des atrocités qu'ils commettent, ils sont forcés d'y participer, sont dressés pour cela. Le propos est clairement illustré avec la relation d'amitié qu'ils entretiennent avec l'enfant muet, dont l'utilisation à des fins expérimentales provoquera leur révolte (seul élément romancé du film). Ce qui n'a pas empêché les menaces de mort reçues par le réalisateur après la première projection au Japon, en dépit de la présence d'un vétéran du Camp 731 qui confirma la véracité de tous les autres faits exposés.

Les images des expérimentations sont dures, atroces : nous savons qu'elles correspondent à des faits. Tun Fei Mou les reconstitue froidement, avec une calme colère, montrant un exemple de chacun des crimes commis contre l'humanité dans le Camp 731 : effets du gel et de la surpression hyperbare sur le corps humain, injection de virus et de bactéries, gazage, vivisection humaine. Pour cette dernière, les images du visage de l'acteur ont été montées alternativement avec une scène d'autopsie réelle. Un choix contestable, mais qui a paru a Tun Fei Mou un moyen de renforcer la véracité des atrocités commises, elles, sur des sujets vivants et sans la moindre anesthésie, chose qu'il n'a pas voulu reconstituer, même par artifice interposé.

La rumeur concernant l'utilisation d'un vrai cadavre dans le compartiment de surpression est infondée, il s'agit même d'un trucage assez grossier. Petit cours d'anatomie : les organes internes du corps humain, même lorsque celui-ci est asiatique, ne sont pas jaunes. Par contre, la scène où Ishii Shiro offre un chat aux rats n'a pas été truquée. Le spectateur occidental et l'adorateur de félin que je suis en est extrêmement choqué, mais cela ne me suffira jamais à rayer de ma mémoire un film qui témoigne pour la première fois d'un événement historique autrement plus terrible, ayant entraîné la mort de plus de 3000 êtres humains martyrisés et oubliés. Dire que cette scène est inutile du point de vue du sens est par ailleurs absolument faux. J'aurais préféré que Tun Fei Mou utilise des trucages, mais cette scène n'en demeure pas moins un symbole de l'individualité vaincue par la meute : au moment où les adolescents ont cru se révolter contre leur condition de tortionnaire, ils l'ont en fait confirmée.

Si le gouvernement américain a lui-même toujours mis tant de réserve à reconnaître ces événements, c'est qu'il employa dans le plus grand secret le docteur Ishii Shiro durant deux ans dans le Maryland, à Fort Detrick, après sa capture, en échange de son immunité, afin d'utiliser les résultats de ses recherches dans le cadre de la guerre froide (de même, nombres de médecins du Camp 731 enseignèrent par la suite dans les universités du Japon et occupèrent des postes importants dans le gouvernement japonais). Il fut ensuite envoyé sur le terrain de la guerre de Corée, où des cas de fièvre hémorragique d'origine inconnue apparurent bientôt.

Rappelons que ses recherches ont concerné, entre autres, la culture et les essais sur sujets humains de la peste bubonique, de l'anthrax, de la paratyphoïde, du choléra, de la syphilis, du botulisme, de la dysenterie, du tétanos, de la tuberculose, de la fièvre jaune, du typhus, de la diphtérie, des salmonelles, du gaz moutarde, des méningites, etc. Elles produisirent 300 kilos de bactéries diverses par mois, dont 600 kilos de germes d'anthrax, 900 kilos de germes de la typhoïde, paratyphoïde et dysenterie, et une tonne de germes du choléra. On estime à 10 000 le nombre total de victimes dans la région, et à 2 millions le nombres de bombes qui y furent préparées. Chaque année, les vestiges de ces manipulations causent encore de nouvelles victimes dans la population civile chinoise, et sans avoir reconnu les faits, le gouvernement japonais a commencé à accorder son aide afin d'aider à l'assainissement des lieux concernés.

Le film de Tun Fei Mou n'a rien à voir avec les séquelles intitulées "Men Behind the Sun 2 et 3" qui, elles, sont de purs produits d'exploitation. Son œuvre, film d'horreur par erreur et par force, a eu le mérite -et l'honneur, au sens le plus élevé du terme- d'être le premier témoignage public de cet holocauste. Ce n'est pas rien. Film atroce ? Oui. Nécessaire ? Aussi.

J'ajoute ici documentation et références parues sur le sujet :

- "Unit 731", Peter Williams & David Wallace, 1989.
- "Factories of death", Sheldon H. Harris, 1994.
- "Unit 731 : Testimony", Hal Gold, 1996.
- "The biology of doom", Henry Holt, 1999.

- Site "Alliance for Preserving the Truth of Sino-Japanese War":
http://www.sjwar.org/htm/731.html

- Site "The Other Holocaust" :
http://www.skycitygallery.com/japan/japan.html#unit731

CAMP 731 | HEI TAI YANG 731 | 1988
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CAMP 731 | HEI TAI YANG 731 | 1988
Note
4
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Stéphane Jolivet