Dolly
Dolly dearest
Il y a de cela neuf siècles, un ancien peuple mexicain, la tribu des Sanzia, avait mis au monde un enfant ayant une apparence d'homme mais pourvu d'une tête de bouc. Nourri à l'aide de sang chaud d'enfants sacrifiés, cet être que l'on considérait comme le fils de Satan était si démoniaque qu'il sema la terreur dans les foyers mayas aux alentours, si bien que la tribu des Sanzia décida de l'enterrer vivant dans une crypte ornée de signes et d'ornements maléfiques.
900 ans plus tard, un archéologue, que la soif de découvertes rongeait depuis les bancs de l'Université, profana la tombe sacrée et libéra par la même occasion l'esprit du Malin, une âme dévastatrice qui allait bientôt pouvoir à nouveau répandre la peur autour d'elle.
Quelques jours plus tard, Eliot Wade, sa femme Marilyn et leurs enfants Jimmy et Jessica, quittaient Los Angeles pour venir habiter à Mexico, tout près de l'endroit où reposait jadis l'esprit du fils de Satan. Très vite, de mystérieux phénomènes vont se produire au sein de la maison de la famille Wade après que Jessica ait ramené une étrange poupée d'une usine abandonnée tout près de là …
La fin des années 80 a vu fleurir plusieurs long-métrages mettant en scène des poupées tueuses : les cultes "dolls" (1987) de Stuart Gordon et "jeu d'enfant" (1989) de Tom Holland, mais aussi "puppet master" (1989) de David Schmoeller, certes beaucoup moins efficace que les deux précédents mais si important dans le registre des jouets maléfiques. Ces quelques films vont par la suite inspirer d'autres réalisateurs dans les années 90 qui vont alors tenter d'étendre ce registre si peu représenté dans le cinéma de genre : il s'agit entre autres de Kevin Tenney avec "la revanche de Pinocchio" (1996), Peter Manoogian avec "jouets démoniaques" (1992) ou encore Maria Lease avec "Dolly" (1992). Malheureusement, aucun de ces films n'arrivera ne serait-ce qu'à la cheville des films de Stuart Gordon et Tom Holland, la faute à des longueurs bien trop perceptibles, des meurtres trop gentillets et bien souvent hors plan, des castings très pauvres… Malgré tout, attardons-nous sur ce "Dolly" de Mari Lease que je vous ai cité précédemment car il s'agit peut-être là de l'un des meilleurs crûs en cette fin de siècle en guise de films traitant le thème des poupées tueuses, même si le film regorge de multiples défauts qui l'empêche de rentrer au panthéon de ce registre pourtant si riche en possibilités.
Suite au succès du désormais célèbre Chucky dans "jeu d'enfant", une réalisatrice du nom de Maria Lease décide de se lancer dans l'aventure et donne naissance à une poupée sanguinaire appelée Dolly. En ce temps, l'idée de faire un film sur des jouets maléfiques paraît être une excellente idée, d'autant plus que le filon est encore assez peu exploité et semble malgré tout trouver son public. En effet, qu'y a-t-il de plus terrifiant que de se rendre compte qu'un objet aussi innocent et adorable qu'une poupée puisse devenir du jour au lendemain votre pire cauchemar? A l'époque, mis à part quelques rares exceptions, susciter la peur chez quelqu'un consistait à lui parler ou à lui montrer des monstres, des serial killers, des animaux dangereux (araignées, requins, crocodiles…), des morts-vivants, des cannibales ou encore des extra-terrestres… Mais pourquoi ne pas briser cette frontière subjective séparant le bon du mauvais, ces règles et mœurs issues de l'opinion commune et de la bonne parole de nos parents depuis notre tendre enfance? Pourquoi des éléments pourtant reconnus et définis comme bons et inoffensifs ne passeraient-ils pas du mauvais côté? Stephen King lui-même avait déjà imaginé la chose en changeant le meilleur ami de l'homme, dont personne ne se méfie et que les enfants aiment par-dessus tout, en une bête sanguinaire et enragée dans "Cujo". De même, qui n'a pas été horrifié par le clown imaginé par notre écrivain de génie dans "it"? Ce clown qui va perpétrer des meurtres insoutenables alors qu'il a toujours été vu dans notre société comme un être souriant, joyeux et blagueur, toujours prêt à faire rire nos chères petites têtes blondes.
C'est en partant de ce constat que la peur est d'autant plus grande quand elle est générée par quelque chose ou quelqu'un dont l'on ne se méfie pas, voire qu'on adore, que Maria Lease va écrire le scénario de "Dolly" au début des années 90, très influencée par ces modèles de la fin des eighties. Bon, il faut bien l'avouer, l'histoire imaginée par notre réalisatrice ne brille pas par son originalité et s'avère même être un cocktail d'inspirations de divers long-métrages paranormaux des années 70 et 80. En effet, comme si le fait d'envahir le corps d'une poupée ne suffisait pas, notre cher esprit maléfique va également posséder le corps de la fille d'Eliot et Marilyn Wade, ce qui nous vaudra quelques scènes qui ne manqueront pas de nous rappeler "l'exorciste" de William Friedkin (notamment la scène où la petite Jessica change sa voix) et "la malédiction" de Richard Donner (principalement au cours d'une scène où notre jeune fille se met à hurler comme une hystérique en voyant un prêtre, une scène similaire à celle de Damien quand il voit l'Eglise de son quartier par la fenêtre de la voiture). On aura même droit à un passage dans un cimetière où Jimmy, le fils d'Eliot et Marilyn, se fait courser par un gros chien noir : une scène fortement inspirée du cultissime passage du cimetière dans "la malédiction". Maria Lease se permettra également un clin d'œil à "jeu d'enfant" de Tom Holland en donnant la célèbre réplique d'Andy à Jessica : "c'est ma poupée qui l'a dit!". Mais Maria Lease ne s'arrêtera pas là, elle continuera son incursion dans le paranormal en s'inspirant d'un autre grand classique de ce registre, à savoir "Amityville", en nous mettant en scène une engueulade entre Monsieur et Madame Wade, en nous montrant un prêtre bénir la maison et en nous faisant méditer sur cette étrange cabane au fond du jardin qui semble possédée elle aussi…
Bref, vous l'aurez aisément compris, ne cherchez pas grand-chose d'inédit dans cette histoire de poupées tueuses. Cependant, malgré ces repompages ici et là, le film se suit plutôt bien et réussit toutefois à nous divertir, ce qui n'est pas le cas de tous les films de ce registre, soyons honnêtes! Le long-métrage contient en effet très peu de longueurs et les quelques scènes angoissantes sont vraiment bien réalisées (la scène de la cave est vraiment stressante, tout comme la scène dans l'usine où l'ouvrier se retrouve nez à nez avec Dolly) : lugubres, silencieuses, entraînant le spectateur dans une angoisse palpable jusqu'au moment où Dolly vient nous faire sursauter! Maria Lease se permet même de nous faire le coup du chat qui bondit : certes, du vu et revu dans ce genre de film mais force est de constater qu'elle réussit à nous faire bondir de notre siège, ce qui n'est là encore pas le cas de certains réalisateurs (je pense entre autres à Simon West dans son remake de "terreur sur la ligne" en 2006). Les péripéties, bien que peu nombreuses, sont toutefois au rendez-vous et sont d'honnête facture, dans le sens où elles divertissent plutôt bien et ne nuisent pas à la compréhension et à la fluidité du scénario du film.
Dans les points négatifs, on regrettera surtout une fin bâclée, trop vite expédiée et peu recherchée, où le jeune fils Wade se la joue héros, ridicule… On discriminera également certaines interprétations plus que douteuses, notamment celle de Chris Demetral jouant le rôle de Jimmy Wade, un jeune enfant surdoué, passionné d'Histoire et qui n'hésite pas à se mêler de tout (le personnage n'étant déjà pas attachant, l'interprétation chaotique du jeune Chris, qui prône la surenchère en terme de mimiques, noie définitivement ce personnage). Dans les prestations décevantes, je souhaiterais surtout m'arrêter sur Jessica Wade, la petite sœur de Jimmy interprétée par Candy Hutson : un personnage clé pourtant étant donné qu'il s'agit de la jeune fille qui va être possédée par l'esprit du fils de Satan. En cette fin de vingtième siècle, les jeunes rôles féminins sont pourtant monnaie courante et sont souvent bien interprétés ("amityville", "amityville 2", "poltergeist"…), il est donc logique en voyant "Dolly" (qui date tout de même de 1992, soit 10 ans exactement après "Poltergeist" avec l'envoutante Heather O'Rourke) d'être en droit d'exiger une prestation d'honnête facture pour ce rôle non dénué d'intérêts. Il faut bien l'avouer, la jeune Candy Hutson ne convient pas du tout pour ce rôle (on pourrait presque parler ici de catastrophe) : elle en fait beaucoup trop, notamment dans les passages où elle se confronte à sa mère, ce qui discrédite totalement ce personnage central qui se voit alors perdre tout son charme (ne parlons pas d'ailleurs de ses répliques trop enfantines qui ne cessent de se répéter tout au long du film : "on va être bien ensemble ma poupée", "t'es ma meilleure amie" etc…). D'ailleurs, signalons que le doublage français pour le personnage de Jessica est pénible et bien trop puéril pour être crédible, d'autant plus qu'on a l'impression que notre chère enfant parle au ralenti à certain moments. Le reste du casting, quant à lui, est relativement convenable, bien que les acteurs soient très peu connus du grand public, mis à part Denise Crosby qui joue le rôle de Marilyn Wade et que l'on a pu voir à cette époque dans plusieurs séries télé et surtout dans l'excellent "simetierre" de Mary Lambert (et qui jouera plus tard dans le sympathique "mortuary" de Tobe Hooper). Notons également la présence de l'acteur Rip Torn ("men in black", "l'homme qui venait d'ailleurs", "robocop 3"…) dans le rôle d'un explorateur et de Sam Bottoms (apocalypse now" et "jardins de pierre" de Francis Ford Coppola entre autres) dans la peau d'Eliot Wade. Enfin, on retrouve l'actrice Lupe Ontiveros ("les goonies", "pour le pire et pour le meilleur"…) dans le rôle de la domestique des Wade (peut-être la meilleure interprétation du film), une femme pratiquant des rites religieux et autres invocations d'esprits qui rencontrera pour son plus grand malheur notre poupée démoniaque!
Justement, venons-en au fait : qu'en est-il de cette fameuse poupée Dolly? Hé bien, malgré un manque de souplesse au niveau des articulations, à la différence d'un Chucky par exemple, notre chère Dolly est ma fois assez terrifiante. Tout comme Chucky, on a droit à deux aspects de la poupée : l'un avant qu'on ne la voie parler (on a à ce moment droit à une poupée commune, inerte) et l'autre une fois que celle-ci s'adresse pour la première fois en personne à Marilyn Wade, ce deuxième aspect de Dolly étant bien plus terrifiant (visage ridé, regard malicieux et cruel à la fois). Notons par ailleurs les vêtements de la poupée très rétros qui se marient parfaitement avec cet esprit diabolique qui s'est accaparé de ce corps en porcelaine, évitant ainsi l'image de la Barbie moderne et permettant ainsi d'installer encore un peu plus ce climat d'inquiétude et d'anxiété. On regrettera par contre cette fâcheuse tendance que Dolly a à dire "Maintenant on va bien s'amuser", réplique qui ne colle pas du tout avec la peur que doit provoquer notre poupée à chacune de ses apparitions. Signalons enfin que notre tortionnaire en porcelaine n'est pas très imaginative dans ses meurtres, à la différence d'un Chucky (surtout les volets 2 et 3), celle-ci se limitant à une électrocution et à une scène où elle coud la main d'un employé, c'est très mince (heureusement, pour faire passer la pilule, elle n'est pas toute seule mais est accompagnée de toutes ses amies de l'usine de poupées!).
Pour rester dans le domaine du visuel, notons également que "Dolly" a le mérite de nous faire voyager : on se retrouve en plein Mexique, théâtre peu commun pour un film paranormal même si toutefois certains lieus sont lugubres à souhait (une usine désaffectée, une cave sombre et humide, une crypte peu accueillante, une cabane de jardin mystérieuse…). On reprochera toutefois à l'équipe des effets spéciaux une certaine fainéantise : en effet, on a droit ici à un travail très basique, se limitant au strict minimum et non désireux de nous montrer des scènes sanglantes comme on peut en voir dans certains films de ce registre.
Enfin, pour ce qui est de la musique du film, il faut reconnaitre que celle-ci colle plutôt bien à l'atmosphère qui se dégage de ce genre de production. La majeure partie des morceaux sont faits avec pour seuls instruments des flûtes et un synthétiseur. Néanmoins, certains passages au violon et au piano viennent agrémenter la musique des passages un brin plus angoissants. Rien de plus étonnant que de voir que le compositeur n'est autre que Mark Snow, à qui l'on doit les musiques de "X-files, aux frontières du réel" (série tv), "comportements troublants" mais également "the X files le film".
Au final, "Dolly" est un honnête petit film sur des poupées tueuses qui, certes, ne rivalise en aucun cas avec "dolls" ou encore "jeu d'enfant" et ses suites en raison de défauts trop apparents (manque d'effets spéciaux, casting tout juste passable, repompage sur d'autres films…) mais s'avère être plutôt divertissant, le mérite revenant à certains passages très angoissants et à une poupée assez terrifiante dans l'ensemble. Un film à voir une fois, histoire d'en connaitre un peu plus sur ce registre assez peu développé des jouets maléfiques…
Remarque : Maria Lease a joué dans un film "sinthia : the devil's doll" (1968) (L'histoire d'une fille qui rentre dans la puberté et tue son père sous l'emprise du diable)