Alien : la resurrection
Alien : resurrection
Après l'apothéose de "Alien 3", la saga semblait définitivement close. Pourtant, tandis que le projet d'un "Alien vs Predator" bouillonnait dans les marmites hollywoodiennes, les spéculations sur une possible résurrection d'Ellen Ripley ne tardèrent pas à mener bon train. Il allait falloir davantage qu'un bain de flammes pour abandonner un personnage féminin de cette envergure… Le crossover céda donc la place à la séquelle écrite par Joss Whedon (l'un des principaux scénaristes de la série TV "Buffy contre les vampires"), et la chaise du réalisateur, après avoir accueilli un Danny Boyle de passage, reçut un hôte bien imprévu : Jean-Pierre Jeunet, réalisateur français dont la réussite esthétique et poétique de "La cité des enfants perdus" (1995) avait obtenu une reconnaissance internationale.
200 ans après sa mort, à partir d'un échantillon de sang récupéré sur la planète Fiorina 16, l'équipe militaro-scientifique de l'USM Auriga, vaisseau de recherche médicale croisant dans l'Union des Systèmes Planétaires, met à terme un clone du lieutenant Ellen Ripley (Sigourney Weaver). Sous la direction du Dr Vren (J.E. Freeman), le Dr Gediman (Brad Dourif) extrait le fœtus alien de sa cage thoracique, et ils décident de garder la jeune femme en vie.
Suite à la culture ADN dont elle a fait l'objet, Ripley se révèle douée d'une force peu commune, ainsi que d'une sorte de liaison télépathique avec l'espèce alien, qui lui fait rapidement prendre conscience qu'un spécimen de reine s'apprêtant à pondre est élevé à bord du vaisseau. C'est à ce moment-là que le Betty, navette de commerce de Elgyn (Michael Wincott) et de sa bande d'olibrius, accoste sur l'USM afin d'y livrer des sujets cryogénisés, dont ils ignorent qu'ils sont destinés à incuber les monstres…
Parmi les bagages que Jean-Pierre Jeunet eut l'autorisation de faire passer aux douanes se trouvait Pitof, dont on retrouve ici toute la palette esthétique, à la fois sombre, verdâtre et glacée. La répartition des tons et des lumières est d'ailleurs significative du propos du film, dont l'une des caractéristiques est de ramasser et de mettre en relief les thèmes abordés depuis le début de la saga. Ainsi l'opposition hommes/femmes, symbolisée par le nom de l'ordinateur central ("Je suis le Père") et Ellen Ripley elle-même ("Je suis la mère du monstre") est marquée par des variations de couleurs et d'éléments tranchées : d'un côté un univers mâle aseptisé, brillant, métallique et surexposé où les grimaces viriles ressortent avec agressivité, de l'autre sa corruption maternelle, abordée avec des précautions qui s'avèreront bien vaines : acide, lumières orangées, rouille, ténèbres et viscosités organiques propres à créer une atmosphère étouffante, angoissante et empesée, où les corps s'embourbent comme dans un cauchemar. La transition - et le salut – sera assurée par l'équipage du Betty : gouailleurs, bordéliques et débrouillards, les tons sombres et sales qui entourent les membres de l'équipe signalent à la fois une contestation et une familiarité avec les deux mondes précédents, qui leur permettra d'y échapper.
On peut se demander pourquoi le scénario de Joss Whedon rebrasse tant d'éléments précédents : les œufs pondus dans le vaisseau et l'équipage militaire ("Aliens"), les marginaux ("Alien 3"), l'équipier se révélant être un robot ("Alien")… Chacun d'entre eux subit bien entendu une modification significative, voire une inversion totale, mais reste clairement identifiable. Par exemple, le personnage incarné par Winona Ryder, "Call", succède au "Ash" interprété par Ian Holm et au "Bishop" interprété par Lance Henriksen, mais est cette fois un robot lui-même crée par des robots, cherchant à détruire la race alien et manifestant une humanité excessive. S'agissait-il donc de multiplier les signes de fidélités envers un public de fans inquiets (mais dans ce cas l'esprit de conservatisme signe de toute façon l'arrêt de mort de la série), de borner étroitement la marge d'invention du réalisateur (on sait qu'elle était faible, ce qui décida Marc Caro à ne pas accompagner Jeunet dans son périple hollywoodien), ou de compenser par des références solides les inventions majeures de cette "Résurrection" ?
Débutant sur un rythme ample et fielleux magnifié par la musique de John Frizzel, où la renaissance de Ellen Ripley s'accompagne d'une mise en place qui fait la part belle au caractère pittoresque des autres personnages, le film s'accélère à partir de la libération des aliens, enchaînant les unes après les autres les séquences d'épouvante et d'action. La bataille du gymnase, l'évacuation des militaires, la découverte d'un survivant (Leland Orser) parmi les cobayes ou la scène sous-marine, autant de morceaux menés tambour battant et recelant quelques beaux effets gore (les meilleurs se situant au niveau des têtes !), où l'on regrettera seulement quelques traits d'humour au feutre et des dialogues typiquement "frenchies", c'est-à-dire bien trop écrits et manquant de naturel dans leur côté "rebelle, humain et marrant"…
Mais c'est lors des quelques pauses rythmiques que nous accorde Jeunet qu'ont lieu les séquences les plus marquantes et les plus originales du film, placé sous le signe de la manipulation génétique. La découverte par Ripley du laboratoire où sont conservés ses précédents clones atteint des sommets de terreur, d'écoeurement et d'émotion, les images dégageant un faste macabre et lyrique peu commun. Enfin, la séquence la plus belle et la plus impressionnante demeure sans doute l'accouchement de la Reine, Ripley communiant avec une noire sensualités aux douleurs de la mère immense… qui accouche alors d'un nouveau-né au mixage blanchâtre et gluant, auprès duquel les spécimens d'aliens classiques ont l'air d'enfants de chœur ! Son alliage de monstruosité et d'humanité, de détresse et de violence, tétanise littéralement, et la scène finale hautement sadique traduira à merveille l'ambiguïté des positions de Ripley à l'égard des créatures qu'elle n'avait de cesse autrefois de combattre.
En somme, Jean-Pierre Jeunet a réussi à mettre en boîte un fabuleux volet qui ne dépare pas les précédents (et qui surpasse même celui de James Cameron), assumant au contraire avec brio le tournant décisif donné au personnage de Ripley en nous livrant un film d'horreur et d'action noir, poétique et malsain, exactement ce que l'on pouvait espérer en le voyant engagé par les studios hollywoodiens. Y aura-t-il une suite, ou bien l'inspiration s'est-elle tarie, n'accouchant plus que de crossover malingre ? L'avenir le dira.