Black death
Black death
1348 : la peste noire frappe l'Europe toute entière, dévaste les villes et les campagnes, laissant derrière elle des montagnes de corps endoloris et putréfiés. Un jeune moine, Osmund, soupçonné d'être malade, profite du chaos pour aider sa bien-aimée à fuir le village. Pour la rejoindre, il intègre une escouade de guerriers au service de Dieu, qu'il est chargé de conduire dans un village perdu dans les marécages. Celui-ci, curieusement épargné par la peste, serait ainsi le lieu de cérémonies macabres et de pratiques magiques, organisées par de mystérieux nécromanciens...
A présent chef de file (avec Neil Marshall et Michael J.Basset) d'un cinéma anglais aussi enragé qu'un punk de la belle époque, Christopher Smith se voit aligner les séries b toutes plus malignes les unes que les autres, jamais esclave d'un quelconque sous-genre. Il faudra malheureusement souligner la distribution désastreuse de son "Triangle", trip maritime digne d'un épisode de "La quatrième dimension", après les passages remarqués de "Creep" (finalement bien meilleur que son comparse "Midnight Meat Train") et de "Severance".
Avec Black Death, il ne fait que souligner davantage le réveil d'une dark-fantasy jusque là assoupie : voilà que ce succède des titres plus ou moins encourageants tels que "300", "Solomon Kane", "La légende de Beowulf", Wolfhound, Season of the Witch...sans parler de la tournure adoptée par des sagas tels que "Harry Potter" ou "Underworld". On abandonne volontiers le merveilleux pour des relectures plus guerrières et adultes des mondes féeriques d'autrefois : on ne rit plus ; les veines se gonflent, les regards s'assombrissent, les épées se salissent, on transpire, on saigne, on meurt. La barbarie a fait son grand retour dans la grande toile du septième art. Et ce n'est pas la tendance actuelle qui prétendra le contraire...
Cependant, si "Black Death" impressionne malgré tout, c'est plus dans son fond que dans sa forme : on ne pourra hélas pas beaucoup s'extasier sur le triste visuel du film, radical mais cheap, dû à une absence d'ampleur dans les décors et une caméra à l'épaule envahissante. Un petit budget prégnant, hélas...
Si l'assaut de ce village de "nécromanciens" aurait pu donner un grand film épique : il n'en est rien. Dans une logique deceptive, Christopher Smith macule son écran de boue et de chair sanguinolente tout en détournant son film de l'éventuelle image qu'on pouvait se figurer dès lors : pas de grandes batailles (mais les quelques prises de gueules sont tout de même salement gores), pas de sorcières ultra-sexy ou de sorciers infernaux, encore moins d'armée de morts-vivants en putréfaction. On aura vite fait de tirer la tronche... sauf que le virage adopté n'a pas dit son dernier mot.
Il faut déjà saluer la toile de fond désespérée (déjà vu certes) choisie par Smith, à savoir une Europe sans dessus-dessous enchylosée par la grande peste et la terreur sourde qu'elle fait régner : ce ne serait ni plus ni moins que le châtiment de Dieu à entendre les badeaux, les moines et les soldats parcourant ces charniers interminables, lointain reflet des paysages déjà bien marqués de "La chair et le sang" et de "Le nom de la rose". Plus que la déconfiture, c'est la décomposition généralisée, la mortification redoutable des êtres et des terres. Des âmes aussi.
Au même titre que la réaction des guerriers menés par le solide et rocailleux Sean Bean quand ceux-ci découvrent le village redouté, le spectateur se voit proposer un spectacle bien moins tapageur que prévu : la préoccupation de Smith n'était pas de tourner un film de zombies dans un contexte moyen-âgeux (vous n'en verrez pas de toute façon), mais plutôt une fable torturée et ultra-violente sur la religion et ses conséquences néfastes. La rencontre entre les soldats de Dieu (tous meurtris et meurtriers) et les païens (dirigés par la superbe Carice Van Houten, faussement diaphane et charismatique à souhait) fera donc plus d'une étincelle...
Le comic-book dégénéré désiré se mue en tragédie à la noirceur vertigineuse, portant durement sur ses épaules toutes les ténèbres qui imprègnent le décor de la première à la dernière image : sur le chemin, tout n'est que pêchés mal digérés, paysanne promise au bûcher, procession morbide et croyances démentes. Le tableau ne semble offrir aucun repentir, aucun espoir possible ; les hommes sont trompés par leurs blessures, et la religion se fait alors vecteur de maux sans noms ; parole assassine et toute puissante justifiant à tour de bras le mal qu'elle engendre, trouvant enfin le salut en éradiquant les hérétiques, hélas trop vite jugés. Un propos que Smith éludera dans un dernier acte ébouriffant de pessimisme (hallucinant Eddie Redmayne, déjà fort inquiétant en adolescent incestueux dans Savage Grace), faisant ainsi fi de tout manichéisme (les notions de bien et de mal voltigent au fil des tueries). Puissant, intelligent, et forcement moins bourrin que les carnages à l'écran le laissent penser. Et donc tout à fait surprenant.