Elle s'appelait scorpion
Joshû sasori: Dai-41 zakkyo-bô
Nami/Sasori est enfermée à perpétuité dans une prison pour femmes. Pour lui avoir crevé un œil, le gardien en chef a fait de son cas une affaire personnelle. Sa résistance aux humiliations des gardiens lui vaut le surnom de Scorpion. Après avoir été une fois de plus maltraitée, Matsu s'échappe avec six autres détenues lors d'un transfert. Le gardien en chef lance la traque, la cavale commence...
L'AVIS :
Le meilleur de la série et le meilleur de l’exploitation. Plus de 35 ans après sa sortie, « elle s’appelait Scorpion » peut revendiquer son droit au statut de film culte par un formidable mélange de trouvailles visuelles et d’engagement féministe. Un film qui hante longtemps après sa vision.
Retour à la case départ pour Nami/Sasori/Scorpion, un an s’est écoulé depuis le précèdent chapitre et sa vengeance envers celui qui l’a trahie, un an passé au fond d’un cachot humide et sombre afin de lui enlever son venin. Mais le scorpion ne meurt pas si facilement et il est toujours prêt à piquer à la vitesse de l’éclair.
DU WIP AU ROAD-MOVIE
Tourné la même année que « La Femme Scorpion », ce second opus d’une série qui en comptera jusqu’à neuf ( six de 1972 à 1977 puis trois de 1991 à 1998, seuls les quatre premiers étant interprétés par Meiko Kaji ), n’est en rien une vulgaire séquelle. Cette suit va plus loin, plus fort en radicalisant son discours, poussant plus loin son féminisme anarchisant.
La partie intrinsèquement WIP ( acronyme de « Women in Prison », connu aussi sous le nom de « Women in Cage ») est rapidement expédiée pour s’orienter vers un road-movie à forte influence « Western-spaghetti » tout en restant fermement inscrit dans le folklore nippon, donnant ainsi à l’ensemble une touche totalement singulière.
La visite d’un ministre dans le pénitencier de femmes permet à Sasori de sortir de son cachot, affaiblie, mais toujours dangereuse. Quand le scorpion, animal résistant à beaucoup de choses ( même aux armes nucléaires dit-on) frappera le directeur des lieux, la punition sera terrible. Alors que les autres détenues seront contraints de charrier d’énormes blocs de pierres, Nami sera, quant à elle, violée par une poignée de nervis afin de rendre caduque son statut de meneuse et d’héroïne en l’humiliant de la pire des façons ( une scène particulièrement épouvante d’ailleurs)
Si la sanction semble porter ses fruits sur la majorité de ses codétenues, elle n’entame en rien la volonté insécable de Sasori, opposée à toutes formes de procrastination dès lors qu’il s’agit de profiter de la moindre occasion de se faire la belle. Ce qui adviendra bien vite suit au rapatriement en fourgon de la carrière de pierre au pénitencier, Nami permettant une évasion collective de sept des prisonnières.
Dès lors le film prendra vraiment son envol en s’orientant résolument vers un des plus formidables road-movie du cinéma, mêlant adroitement fantastique, aventure, cohésion, traîtrise, sentiments, horreur, études de caractères et surtout charges au vitriol de la société japonaise.
APPORT DU CINEMA EUROPEEN DE GENRE
Ce qui frappe à la vision de ce long métrage, c’est le syncrétisme entre apports européens de cinéastes majeurs du genre (Mario Bava et Sergio Léone en particulier) et culture folklorique nippone traditionnelles. Le réalisateur puise à plusieurs sources sans toutefois jamais faire preuve de plagiat pour l’insérer dans un discours reflétant sa vision de la société insulaire de son époque ( rien d’étonnant d’ailleurs qu’un Quentin Tarantino se soit abreuver à cette source tant son univers se rapproche de celui de cette série).
La cavale de ce groupe de femmes dans un décor dépouillé et désertique renvoie inévitablement au western-spaghetti, de même les plans larges sur la lande austère, les gros plans sur les visages ,les long manteaux des évadées, le mutisme de l’héroïne, les ralentis, «Léonisent » le trait à l’envie.
La part opératique des éclairages, des couleurs et de la photographie quant à eux, font échos avec le travail opéré dans le gothique italien d’un Bava ou d’un Argento ( une cascade se transformant en geyser de sang, un plan qui se déchire façon «fumetti », d’autres travaillés dans tous les sens façon « Le masque du Démon » ou « La fille qui en savait trop » ).
Mais Shunya Ito n’est pas qu’un vulgaire copieur et s’il s’appuie sur une culture cinématographique cosmopolite et un sens de la technique solide, il insère ces emprunts à la tradition théâtrale notamment. Les actrices ( à l’exception de Sasori/Scorpion évidemment) en fond des tonnes, surjouent presque, notamment celle qui symbolise l’hostilité des femmes envers Scorpion et dont le jeu renverrait presque au théâtre Kabuki par son emphase et ses grimaces.
De même l’insertion dans une histoire qui à priori ne le permet pas d’un dose de fantastique onirique (« Kwaidan » and co) qui irrigue le Kabuki permet non seulement à l’intrigue de ne pas s’essouffler en offrant une forme de pause à l’action, mais développe aussi et surtout l’idée de la quête quasi-christique de la belle Sasori dans au moins trois séquences surréalistes d’une beauté qui laissent pantois ( Le conte chanté des crimes des sept évadées autour d’un feu de camp, le « passage de témoin » entre la vieille femme et Scorpion léguant un couteau semblant « chargé »de toute la haine ancestrales du sexe dit faible et le passage dans un tunnel permettant une digression sur la «vraie» personnalité des prisonnières. Somptueux !)
INSOUMISSION ET FÉMINISME DANS LA SOCIÉTÉ JAPONAISE
Ce qui n’aurait pu être qu’une bonne série B dopée à l’esthétisme et à la perversion masculine, acquiert ses lettres de noblesses grâce à la radicalité de son propos, donnant par ricochet une vision peu complaisante de la société nipponne et de la place de la femme dans celle-ci . Une charge impitoyable contre le machisme le plus haïssable, un pamphlet féministe et une vitupérante critique sociale où la violence nihiliste semble régner en maître. Stéréotypant ( du moins on l’espère !) l’homme dans ses plus vils instincts, « Elle s’appelait Scorpion» les présente comme des êtres méprisants, malfaisants et uniquement inféodés à leurs pulsions, se servant de la femme comme d’un objet. Passe encore pour les geôliers dont le rôle est par essence éminemment coercitif, mais même l’homme de la rue n’est pas mieux loti ( en témoigne ce car de touristes qui après avoir vanté le bon vieux temps de la guerre sino-japonaise, abuseront jusqu’au meurtre d’une des prisonnières).
Si le réalisateur nous offre en écho le souvenir de cette guerre, c’est pour mieux « métaphoriser » celle que livre les évadées symbolisant celle de toutes les femmes contre l’ordre établi de l’homme. Sasori imposé en tant que figure christique et portant le fardeau de la violence séculaire faite aux femmes, à elle de les guider vers la liberté au prix d’un farouche combat ( Dans un troublant final, Sasori suivi de ses comparses traverseront un pont tel Moïse et ses disciples traversaient la Mer vers la terre promise).
S’appuyant de manière évidente dans le creuset et les derniers soubresauts de 1968 ( qui au Japon fut contestataire et revendicatif) et une actualité où à l’instar de certains pays européens, l’extrême gauche japonaise multipliée les attentats, Shunya Ito propose un film plein de bruit, de haine et de fureur. Sur la situation des femmes et des minorités, Ito hurle son dégoût. Un cri puissant qui résonne encore trente-cinq ans plus tard.
Violent, baroque, nihiliste, féministe, n’oubliant pourtant jamais qu’il est un film d’exploitation, « Elle s’appelait Scorpion » ne peut décemment laisser indifférent.
Un petit chef d’œuvre.