Lost highway

Lost highway

Fred Madison, riche joueur de saxophone ténor, est en pleine dépression. Rien ne va plus entre lui et sa femme Renée, qu'il soupçonne d'entretenir une relation extraconjugale. Pour couronner le tout, le couple reçoit des vidéos filmées par un intrus qui semble avoir pénétré dans l'appartement pendant leur sommeil.

La paranoïa de Fred augmente lors d'une soirée organisée par Andy, un "ami" de Renée. Il y rencontre en effet un homme étrange, qui prétend non seulement être déjà venu chez lui, mais même s'y trouver encore. Et il le prouve.

La troisième vidéo que Fred reçoit le montre accroupi parmi les membres déchiquetés de Renée. Arrêté par la police et condamné à la chaise électrique, il va alors trouver, par le biais de l'homme mystérieux, un moyen hors du commun pour s'échapper de lui-même comme de sa cellule de prison.

Mais cette fuite sous une nouvelle identité (celle du jeune Pete Dayton) va rapidement s'avérer de courte durée. Tous les éléments du passé de Fred Madison y ont été redistribués sous une forme différente, qui va cruellement lui permettre de comprendre ce qui s'est passé.

LOST HIGHWAY | LOST HIGHWAY | 1997

Le titre est simple : "Lost Highway" est une autoroute perdue, métaphore du psychisme torturé de Fred Madison. Et David Lynch a pris un malin plaisir à en retirer tous les panneaux de signalisation, afin que le film soit le fidèle reflet de ses tourments : sinueux, ténébreux, énigmatique, accompagné d'une bande originale captivante. Tout, que ce soient les personnages, les décors, les événements et jusqu'aux plus petits détails (par exemple la couleur d'un vernis à ongle), s'y répète d'une façon fascinante et angoissante, chaque élément en double venant combler une lacune de la version originale.

Le film ainsi obtenu, que beaucoup s'accordent à considérer comme l'œuvre esthétiquement la plus aboutie de son auteur (sans forcément l'apprécier), est à la fois émotionnel, sensuel, abstrait, policier et fantastique. Et la réaction publique et critique fut un mélange d'admiration et de rejet, car le spectateur est branché sur tout cela sans le moindre surlignage explicatif (en somme, Lynch revient à sa propre source : "Eraserhead"). "Lost Highway" fut rapidement retiré de l'affiche, et demeure à ce jour l'un des échecs commerciaux les plus cuisants de son auteur (deux ans plus tard, il réalisa "The Straight Story", façon de prouver qu'il était capable de fournir un récit classique).

J'avoue avoir moi-même fait partie de ceux qui, à la première vision, ont détesté "Lost Highway", excédé par cet hermétisme qui me semblait être un pur prétexte à concocter des ambiances pseudo étranges, des images pleines de préciosité. Il me semblait qu'il n'y avait là que cabotinage, et je comprends parfaitement qu'on puisse réserver un pareil jugement à "Lost Highway".

Il n'est de fait jamais très agréable de se sentir exclu du film que l'on regarde, et David Lynch n'y a rien arrangé, refusant totalement de fournir la moindre grille de lecture permettant de déchiffrer son œuvre. Là-dessus, des hordes de thèses universitaires plus ou moins tirées par les cheveux se sont bien évidemment abattues sur le film (appelons ça la méthode du "scalp critique"), bien décidées à le confisquer au profit des seuls initiés.

Sans prétendre fournir un décodage définitif du film, il me semble au contraire qu'on peut aborder l'histoire tourmentée de Fred Madison de la façon la plus élémentaire qui soit. Si "Lost Highway" a tout du film expérimental, c'est qu'il est justement fait pour être vécu comme une expérience par le spectateur. Mais "expérience" au sens intime, et non scientifique du terme. Si "Lost Highway" est d'un premier abord si distant, c'est qu'il est aussi terriblement impudique.

N'avez-vous jamais été trahi au point de ne pas pouvoir le supporter ? N'avez-vous jamais tenté de vous cacher la vérité ? N'avez-vous jamais eu le sentiment, malgré tous vos efforts, que les éléments les plus perturbants de votre vie ne cessaient, sous une forme perverse, de se répéter ? Si la réponse est non, vous pouvez considérer comme une chance de ne pas comprendre "Lost Highway". Mais si la réponse est oui, c'est là-dessus qu'il faut vous brancher.

Si David Lynch est un artiste bizarre, il est aussi un homme très banal, et par exemple deux fois divorcé. Et tout comme Fred Madison, il a tendance à se souvenir des choses d'une façon toute personnelle, pas forcément fidèle à l'objectivité des faits. Et vous ?

La familiarité avec l'univers fantastique est également très utile : "Lost Highway" est une histoire de démons intérieurs, de métamorphose et de possession dans le strict sens de chacun de ces mots (il ne s'agit pas d'un rêve, Fred Madison prend réellement possession du corps, de l'identité et de la vie de Pete Dayton, un événement épouvantable qui a manifestement traumatisé l'entourage de ce dernier).

Les afficionados de Clive Barker auront également vite fait de comprendre la véritable nature de l'homme mystérieux, qui ne fait jamais qu'exhausser les vœux de Fred Madison à la façon d'un Pinhead ou d'un Candyman (les points communs entre Clive Barker et David Lynch sont d'ailleurs légions, bien qu'ils soient par ailleurs complètement différents l'un de l'autre). Et puis, ce n'est pas pour rien que le double de Renée (Re-née) s'appelle Alice…

"Lost Highway" est une histoire d'obsession (impossible de ne pas penser à Alfred Hitchcock et à Brian de Palma) : celle d'un homme à posséder une femme. "Tu ne m'auras jamais", révèle Alice Wakefield (wake-field : le champ de l'éveil) à l'oreille de Pete Dayton après lui avoir fait l'amour. Sujet on ne peut plus classique, et éternel…

Pour le reste, la sensibilité, la séduction sulfureuse et glacée des personnages (Patricia Arquette, Bill Pullman, Balthazar Getty et Natasha Gregson Wagner tiennent certainement là le meilleur rôle de leur carrière), allié à un certain goût pour la résolution des énigmes ou des puzzles (tiens, encore un point commun avec Barker !), et ça y est, le tour est joué : pour le meilleur et pour le pire, vous voilà aspiré(e) par la "Lost Highway".

"Funny how secrets travel"…

LOST HIGHWAY | LOST HIGHWAY | 1997
LOST HIGHWAY | LOST HIGHWAY | 1997
LOST HIGHWAY | LOST HIGHWAY | 1997
Note
5
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Stéphane Jolivet