Montagne sacree - la
The holy mountain / La Montaña sagrada
Personnalité unique dans le monde du cinéma, Alejandro Jodorowsky a commencé son épatante carrière en créant le mouvement "panique" avec ses disciples Roland Topor et Fernando Arrabal. Grotesque, surréaliste, poétique et définitivement barge, mais non dénué de sens, l'univers de ces trois personnalités est à marquer d'un pierre blanche, sans aucun doute. "La montagne sacrée" sera une pièce cinématographique permettant à Jodorowsky de coucher ses obsessions et ses pensées atypiques sur pellicule, et d'aller encore plus loin que tout ce que pouvais offrir le cinéma en ce temps.
Si son moyen métrage "Fando Y Lis" ne se fera pas spécialement remarquer (quoique…), "El Topo" deviendra l'un des premiers films cultes estampillé Jodorowsky. Un western crépusculaire et fantastique, offrant une autre vision de ce genre qui devenait enfin italianisé à l'époque avec les western spaghetti.
Jodorowsky expose pleinement son monde imaginaire avec "La montagne sacrée", et frappe fort. A la manière de "Viva la muerte" ou de "L'arbre de Guernica" de son confrère Arrabal, Jodorowsky construit son film sur des visions littéralement impensables, vibrantes, qui font gicler le sang, les larmes et la merde. On se demandera encore comment de telles œuvres ont pu plus ou moins passer entre les filets de la censure, quoiqu'on se rend compte rapidement que leur exploitation est assez discrète. Les VHS sont quasi introuvables, les DVD un peu trop rares, les diffusions télé inexistantes, d'ailleurs "La montagne sacrée" sera la victime de nombreux problèmes, qui le cloîtra pendant longtemps (et toujours) dans un douloureux carcan.
Le détenteur des droits du film, Allen Klein, s'est malheureusement fâché avec Jodorowsky, interdisant toute projection ou sortie DVD et brûlant les négatifs originaux. Le seul moyen de découvrir ce film est de se procurer le DVD import italien, non officiel bien entendu. Destin cruel donc, pour une œuvre d'une grande richesse qui ne mérite en aucun cas un tel sort.
Pour nous faire découvrir le monde décadent et barbare de "La montagne sacrée", Jodorowsky choisit comme héros un sosie du Christ, perdu d'abord dans une tribu d'enfants sauvages. Sauvé par un nain cul-de-jatte, il traverse les rues d'une ville inventée de toutes pièces, animées par des visions cruelles et absurdes, nous dévoilant une société corrompue et sanguinaire : des fascistes tuent des innocents en pleine rue, des bourgeois s'agenouillent pour traverser la place, des touristes photographient tout et surtout n'importe quoi (une passante se fait violer sous l'œil amusé de son mari qui n'en perd pas une miette avec son appareil photo), des faux romains et un travesti déguisé en nonne confectionnent des mannequins du Christ à la chaîne… Ceci en est trop pour le héros, manipulé et humilié.
Ce faux Christ découvre l'antre d'un alchimiste (Jodorowsky lui-même) qui le capture pour l'éduquer à sa manière, grâce à sa connaissance sans limite. Il est engagé pour une mission particulière : avec l'aide de huit autres élus, il doit franchir le sommet de la fameuse montagne sacrée, ou vivrait des sages possédant le secret de l'immortalité. Avant cette aventure entreprenante, le spectateur va découvrir l'identité de chaque disciples, donnant lieu à de minis sketches décalés.
En premier il y a Fon, patron d'une usine confectionnant des masques criant de vérité, profitant souvent de ses nombreuses ouvrières. Ensuite, c'est Isla qui nous est présenté, une lesbienne s'occupant d'une usine d'armement et entraînant les soldats de manières intensives et violentes (des soldats s'empalent frénétiquement sur des baïonnettes !), puis Sel, clown à temps partiels puis chef d'une curieuse entreprise où elle entraîne des enfants à tuer des péruviens dans un but hasardeux ; Klen,, un homme riche amateurs d'art très "tactiles" et créateur d'un robot "d'amour" (une machine en métal qu'on viole avec un manche phallique et qui accouche d'une petit cube en métal après avoir usé des litres de spermes et subi diverses transformations!!) ; Berg, étrange politicien vivant avec une immonde créature aussi vulgaire qu'hystérique ; Axon, un policier vivant dans la guerre et le plomb, organisant des castrations publiques et gérant des tueries dévastatrices, et enfin Lut, un moine/magicien travaillant sur un projet dès plus surprenant : une ville cercueil!
Une galerie de personnages qui vont vivre un parcours initiatique douloureux, long, éprouvant et mystique. On décrochera d'ailleurs plus facilement lors de cette partie, ou les visions chocs diminuent et le rythme ralentit. A vous de voir si vous vous laisserez tenter au trip mystique Jodorowesque ! On sera rapidement conduit vers une scène finale ou les héros se laissent aller à des fantasmes morbides et mortels (castrations sur un arbre à plume, invasions d'araignées, pluie de pièces ou encore une inquiétante embrassade se terminant par l'échappée d'un liquide blanc abondant et dont on comprendra vite la provenance) jusqu'à ce plan final qui alourdit encore un peu plus la signification du film, de manière ironique et inattendue.
Très Bunuelien quand il le peut, Jodorowsky insiste sur la présence du Christ, ici sous la forme d'un mannequin qu'on retrouve systématiquement durant le métrage : brûler, mutiler, dévorer, mis en pièces, aimer… Succession d'images provocs et lourdes de sens (pour déchiffrer tous ça c'est pas vraiment de la tarte !), fascinantes et répugnantes : sculptures humaines et nues tripotées par des visiteurs curieux, innocents fusillées et massacrer puis vidé de leur sang ou de leur intestins prenant souvent l'apparence de légumes ou d'animaux (Goya n'est pas loin), vieillard pédophile enlevant son œil de verre en gros plan, groupe de prostituées se rendant dans une église, armes imaginaires comme le pistolet chrétien ou le fusil musical (en forme de guitare électrique !?!)… Difficile de se sentir à l'aise ou de sortir indemne de ce flot interrompu d'images choquantes d'une rare complexité.
Pas de tabous, pas de personnages réellement attachants, pas de construction narrative habituelle…Rien justement n'est habituel dans le film de Jodorowsky, dont le budget atteindra la somme imposante de 1 500 000 Dollars ! Très fort…et une œuvre monumentale.