Taram et le chaudron magique
The black cauldron
Au pays de Prydain, un jeune valet de ferme nommé Taram mène une vie peu palpitante, voire même ennuyeuse, passant son temps à s'occuper d'un porcelet appelé Tirelire. Mais un beau jour, il va apprendre que l'animal a un don de voyance : une faculté divine qui intéresse fortement un être machiavélique et démoniaque, le Seigneur des Ténèbres.
En effet, jadis, le pays de Prydain était gouverné par un roi si tyrannique et malfaisant que les puissances célestes elles-mêmes le redoutaient. Pour se débarrasser de ce cruel personnage, ses sujets le jetèrent dans la masse d'un métal en fusion dont ils firent un immense chaudron. La légende raconte que son esprit est enfermé dans ce chaudron et que quiconque le trouverait pourrait s'accaparer la puissance du mal et redonner vie aux armées de guerriers morts du terrible roi.
C'est dans le but de s'approprier les pouvoirs surnaturels du défunt roi tyrannique que le Seigneur des Ténèbres va enlever Tirelire afin que celui-ci puisse lui dire où se trouve le mystérieux chaudron. Pour sauver Tirelire et afin d'empêcher que le chaudron magique ne tombe entre de mauvaises mains, Taram va se lancer à la poursuite du Seigneur des Ténèbres. Aidé par une drôle de bestiole poilue nommée Gurgi, une princesse au doux nom d'Eilonwy et d'un barde malchanceux, Taram va combattre des armées de guerriers, échapper à des dragons, lutter contre des morts vivants et déjouer les ruses de sorcières roublardes.
32ème long-métrage d'animation et 25ème "classique d'animation" des studios Disney, "Taram et le chaudron magique" est sorti en novembre 1985 en France. Inspiré des "Chroniques de Prydain" de Lloyd Chudley Alexander parues entre 1964 et 1970, le dessin animé de Disney demeure le plus sombre et le plus sinistre de tous. Sorcellerie, monstres, morts-vivants, dragons et elfes sont au menu de ce Walt Disney qui tranche radicalement avec ses prédécesseurs, même si certains verront en celui-ci quelques airs de ressemblance avec "Merlin l'enchanteur" (notamment en termes d'animations et de style graphique, notamment les passages en forêt).
Malgré un travail gigantesque ("Taram et le chaudron magique" a nécessité tout de même 12 années de développement), ce dessin animé de Disney n'aura jamais véritablement marqué la filmographie à succès de la firme américaine ("Pinocchio", "Blanche-neige et les 7 nains", "Bambi", "Dumbo", "Peter Pan", "Cendrillon", "la belle au bois dormant"…), peut-être en raison de cette dérive claire et nette vers un public plus mature et plus friand d'Heroïc-Fantasy que de dessins animés faisant la part belle aux rires et aux chansons… Quoiqu'il en soit, les années 80 resteront une décennie assez diverse pour le géant du long-métrage d'animation avec des titres effacés de nombreuses mémoires (et pourtant de très bons dessins animés tels que "Bernard et Bianca au pays de kangourous" en 1980, "Basil détective privé" en 1986 ou encore notre cher "Taram et le chaudron magique" en 1985), des petits succès lors des sorties en salles ("Rox et Rouky" en 1981, "Oliver et compagnie" en 1988 et "la petite sirène" en 1989) et des films plutôt réussis ("Tron" en 1981 et "qui veut la peau de Roger Rabbit ?" en 1988).
Ce qui distingue clairement "Taram et le chaudron magique" des autres Disney, c'est cette noirceur, ces scènes effrayantes et pouvant s'avérer cauchemardesques pour un jeune public non averti. C'est d'ailleurs pour cette raison que, lors de sa sortie en salles aux Etats-Unis, la commission de censure lui avait donné la classification PG, soit "Parental Guidance", ce qui signifiait que les jeunes enfants désireux de voir le dessin animé devaient être accompagnés d'un adulte. Car des scènes effrayantes, il y en a un paquet dans ce long-métrage d'animation : un cochon qui se fait courser par des dragons, des sorcières hideuses, des armées de morts vivants, des barbares sanguinaires (sortes de mélange entre goths et vikings)… Sans oublier le méchant du dessin animé : un être inspiré de la représentation de la Faucheuse au Moyen Age avec une voix caverneuse et dont la capuche abrite un crâne dépourvu de chair. Jamais nous n'avions vu un méchant aussi effrayant dans un dessin animé de Disney! Ajoutez à ce personnage un bouffon répugnant et perfide, sorte de crapaud avec un seul œil grand ouvert, et vous obtenez là un duo de choc à classer parmi les méchants les plus hideux de chez Disney!
Mais ce n'est pas tout, mis à part ces personnages effrayants formant la galerie des méchants, les lieux eux-mêmes où se passe la majorité des scènes d'action sont des endroits lugubres, sinistres et glauques à souhait. C'est le cas notamment du château du Seigneur des Ténèbres à l'allure très gothique (parsemé de souterrains et de galeries sans fin) ou encore les brumeux et silencieux marais de Morva où vivent les trois sorcières Griotte, Grièche et Goulue, les gardes du chaudron magique. Tant de lieux inquiétants que vont visiter Taram et ses compagnons de route. Très bon travail de l'équipe ayant travaillé sur le design de ces paysages sortis tout droit des enfers : une réussite en tout point.
Malgré cet aspect très sombre, "Taram et le chaudron magique" réussit toutefois à conserver une partie de ce qui fait la magie et le charme de Disney, à savoir des personnages attachants (dont des animaux), une petite morale de fin (même si celle-ci reste assez implicite : "l'amitié est l'arme la plus efficace"), des petites tranches de rires, des péripéties à gogo…
Seule une chose manque pour refléter l'univers de Disney : les séquences chantées! En effet, il est intéressant de souligner que "Taram et le chaudron magique" fait partie des rares dessins animés de Disney à ne pas nous présenter des passages où ça chante, ça danse… On regrettera donc peut-être l'absence d'une petite chanson chantée par les méchants ou encore un petit chant du barde Ritournel qu'il aurait pu accompagner avec sa lyre qu'il ne quitte jamais…
Face à tous ces éléments lugubres et fantastiques propres à l'Heroïc-Fantasy, certains personnages sont là pour nous distraire et remplissent parfaitement leur mission. C'est le cas notamment de Gurgi, petite bestiole poilue menteuse, peureuse et roublarde mais terriblement attachante que rencontre Taram dans la forêt. Viendra également nous divertir Ritournel, le ménestrel malchanceux que Taram délivrera des griffes du Seigneur des Ténèbres.
Quant au personnage de Taram, il est plutôt convaincant et remplit son cahier des charges, à l'image d'un certain Moustique dans "Merlin l'enchanteur" de 1963 : un jeune homme à la vie misérable qui va devenir un véritable petit guerrier intrépide et vaillant, tirant profit de la magie et de la sorcellerie qui l'entourent (on retrouve notamment dans les deux dessins animés une épée magique mais également des sorcières).
Restent ensuite quelques personnages sympathiques mais un brin effacés par ceux cités précédemment : c'est le cas de la princesse Eilonwy (qui ne restera pas dans le top 10 des plus charismatiques héroïnes de Disney, trop peu présente verbalement et sans grande particularité, mise à part sa boule magique qui flotte dans les airs et la suit continuellement), des elfes qui vont aider nos héros dans leur aventure, ou encore Tirelire, le cochon de Taram qui, contrairement aux animaux en général dans Disney, ne génère aucun attrait particulier.
Au final, "Taram et le chaudron magique" est un bon petit divertissement familial qui tranche radicalement avec la majorité des productions Disney de part sa noirceur et ce côté Heroïc-Fantasy qui lui vont pourtant si bien. Prenez une bonne dose de surnaturel (monstres, elfes…), une pincée de sorcellerie (transformations, épée magique…) et un zeste d'humour et vous obtenez un agréable dessin animé de 76 minutes, à savourer en début de soirée, avec ou sans enfant.
Des personnages attachants, des méchants mémorables, des péripéties en veux-tu en voilà, des paysages lugubres à souhait et magnifiquement conçus, "Taram et le chaudron magique" demeurera, malgré sa très grande discrétion dans la filmographie de Disney et son cuisant échec lors de sa sortie en salle en 1985 (à tel point que ses concepteurs l'auraient renié durant quelques temps), un petit ovni recommandable dans l'univers de la firme américaine à succès.