Stoker
Stoker
Après la mort de son père dans un étrange accident de voiture, India, une adolescente, voit un oncle dont elle ignorait l’existence, venir s’installer avec elle et sa mère. Rapidement, la jeune fille se met à soupçonner l’homme d’avoir d’autres motivations que celle de les aider. La méfiance s’installe, mais l’attirance aussi…
Le défi du réalisateur étranger défié, pour ne pas dire engloutie par la machine Hollywoodienne a toujours été, et sera toujours, un point délicat au sein de l'industrie cinématographique. Un tournant se conjuguant parfois avec castration symbolique, liberté menacée et tensons diverses, qui demanderont à l'auteur soit de laisser sa personnalité sur le chemin, soit de singer parfois excessivement une formule déjà connue (on ne compte plus les "auto-remakes").
Alors que le remake de son "Old Boy" est déjà entamé par Spike Lee, Park Chan Wook emprunte enfin le pont d'or déployé par Hollywood, d'ailleurs la même année que son confrère Kim Jee-Woon : difficile d'aborder tranquillement la rencontre entre le monde impitoyable des studios et celui, très jusqu'au boutiste de Wook, qui n'a eu de cesse d'ausculter l'âme humain dans ce qu'elle avait de plus noire au détour de quêtes vengeresses. Même son "Thirst" allait à l'encontre de la vague "Twilight" en opposant aux cachets d'aspirines de Stephanie Meyer, des créatures hyper-sexuées, fiévreuses et sanguinaires.
Définitivement malin, Park Chan Wook évite avec "Stoker", tous les pièges tendues par l'industrie : il adopte pour cela un scénario "simple" qui pourrait, dans de mauvaises mains, se transformer en thriller domestique sans grand intérêt, comme, entre de bonnes, en conte dégénéré. Inutile de dire vers quoi tend le résultat final...
L'incroyable générique où chaque lettre semble participer à l'action souligne déjà la singularité d'un projet qui dépasse toujours plus son statut de thriller hitchockien : à la manière de l'élève DePalma, Wook se souvient que l'on peut transcender un point de départ relativement classique par la virtuosité de sa mise en scène, ici fluidifiant une histoire à la finalité particulièrement perverse.
Obsession des raccords, des cadrages parfois étranges, de l'image yoyo et du fétichisme ambiant (où comment une paire de chaussure symbolise le passage de l'adolescence à l'âge adulte) : tout concorde à donner à cette tragédie familiale des allures de fantasme tordu, à choyer la beauté dans le bizarre (la nature semble être un personnage à part) et à faire grandir le vertige. Wook se montre étonnement plus inspiré et plus posé (comprendre moins d'hystérie), tout en préservant la folie galopante de ses personnages (tous ambigus voire tarés), les éclairs de violence sanglants, et la cruauté exquise qui faisait le prix de son cinéma antérieur (fascination pour le thème de la vengeance et des mécaniques tordues).
Et si "Stoker" se plaît à mettre en avant sa virtuosité avec une poésie déroutante (l'incroyable scène du piano à quatre mains), il n'en oublie pas de diriger un casting digne de ce nom, confrontant un Matthew Good magnétique (qui aurait pu faire un Norman Bates parfait) à une Mia Wasikowska épatante, weirdos en fleur dont la mine boudeuse et les dérapages presque scabreux nous rappellent au bon souvenir d'une certaine Jennifer Jason Leigh. Kidman, poupée de cire hitchockienne, se retrouve plus en retrait face à ce duo de la mort. Rien qui gâche cependant cette entreprise emplie d'un somptueux venin.