Orange mecanique
Clockwork orange - a
Alex et sa bande de Droogs passent leur temps à tabasser d'innocentes victimes, allant jusqu'au viol brutal et même le meurtre. Durant une de ces virées fatales, Alex sera trahi par ses amis ne supportant plus son autorité imposée au groupe. Jeté en prison pour meurtre, Alex se posera en prisonnier modèle afin d'avoir une chance d'être libéré sur parole. Mais ses demandes sont refusées et il se portera alors volontaire pour participer à un programme de réhabilitation révolutionnaire pour criminels violents.
Dès le générique composé d'aplats de couleurs criardes sur une musique de synthé planante, on est tout de suite plongé de façon drôlement efficace dans l'un des contes les plus cyniques de l'histoire du cinéma. Le générique fini, le personnage d'Alex nous fixe droit dans les yeux de son regard bleu acier entouré de faux cils de dessous un chapeau melon, un petit sourire en coin nous déstabilisant davantage. Et puis arrive la violence, cette ultra-violence qui occupe chaque moment éveillé d'Alex et ses Droogs, Tim, Georgie et Pete.
ATTENTION - Cette fiche contient quelques spoilers...
On démarre sur les chapeaux de roue avec un clodo qui se fait tabasser dans un tunnel – image cinématographique immortelle s'il en est une de par cet éclairage magnifique orchestré par John Alcott, un régulier des œuvres de Kubrick, qui fait s'allonger les ombres des quatre voyous jusqu'à occuper tout l'intérieur, renforçant d'emblée la menace pesant sur ce pauvre innocent.
Se succéderont ensuite des scènes de violence pure et gratuite qui mettent le spectateur profondément mal à l'aise, brillamment accompagnées de musique classique (Ludwig Van Beethoven, l'une des obsessions d'Alex) ou de petites chansons guillerettes. Pourra-t-on jamais écouter Singin' in the rain de la même façon ?
Le meurtre qui conduira Alex en prison est d'une sauvagerie inouïe, à un tel point que même notre anti-héros semble dépassé par les événements. Et là, le film prend un tournant à 180° en plongeant dans l'univers carcéral sordide, la psychologie expérimentale et les traitements de choc.
Attaché à une chaise, les yeux écarquillés de force par des écarteurs, Alex est soumis de façon sadique à des images choc accompagnées de la musique de son cher Ludwig Van qui vont petit à petit le dégoûter au point de vomir. Bien qu'aujourd'hui, nous ayons tous tant l'habitude de voir des atrocités dans n'importe quel média qu'on peut parfois se sentir blasé, on ne reste pas indifférent devant ce spectacle pervers où la simple expression du visage d'un Alex horrifié suffirait presque à nous donner la nausée. Rajoutez à cela la bande son composée de déglutitions, de rots et de cris perçants, et vous voilà à la place de l'acteur. Particulièrement efficace. Le test final sera un pur exercice en humiliation totale où, allongé par terre, Alex sera forcé de lécher la semelle d'un homme trônant au dessus de lui.
Dans le roman ayant inspiré le film (lui-même basé sur un fait autobiographique : en Malaisie, la femme de l'auteur a été agressée et violée par 4 GIs américains), Anthony Burgess développe brillamment son idée de base : le libre choix moral. Selon lui, il est inhumain d'être entièrement bon ou entièrement mauvais. Le bien et le mal doivent cohabiter chez un individu pour qu'il puisse faire ses propres choix. En éradiquant le côté sombre d'Alex, le gouvernement ne lui laisse plus d'autre choix que de fonctionner selon ses préceptes inculqués par cette mauvaise expérience, elle-même d'une violence brute. Alex devient alors ce que signifie le titre du film, qui est en fait un jeu de mot. En Malaysien, "ourang" veut dire "homme", donc à la place d'Orange Mécanique (A Clockwork Orange, en vo), on pourrait lire "Homme Mécanique", une métaphore soudain évidente pour le processus de déshumanisation mis en place légalement par le gouvernement.
Petite parenthèse : L'auteur n'a jamais vraiment aimé son histoire, ce qui est tout à fait compréhensible. Il l'a détesté d'autant plus que le film ne lui pas rapporté un seul centime. En manque d'argent, il avait vendu le roman à Mick Jagger pour $500, qui aurait alors joué le rôle d'Alex, et ses Stones, les Droogs. L'auteur adapta son histoire au théâtre plus tard, et la scène d'ouverture présentait un sosie de Kubrick se faisant méchamment tabasser…
Retour au film.
Jugé guéri, Alex sera relâché. Et là débute la vraie horreur pour lui. Rejeté par sa famille et ses amis, il sera lui-même victime de cette violence gratuite qu'il avait tant glorifiée. Récupéré par les autorités plutôt embarrassées par ce cuisant échec, il devra alors subir une nouvelle thérapie pour le guérir des malheureux effets secondaires de son premier traitement, qui le rendait incapable de choisir de se défendre, ou de tout simplement, s'en aller. L'être humain est recomposé, la boucle est bouclée.
Les acteurs campent tous leurs personnages avec brio. Personnellement, j'adore le conseiller social d'Alex, Mr Deltoid, joué par un Aubrey Morris en grande forme, débitant ses dialogues aux voyelles étirées d'une voix particulièrement nasillarde et jouissive ! Evidemment, Malcolm McDowell remporte la palme en tant qu'Alex. Il a surmonté sa phobie des reptiles (Kubrick avait apporté le serpent d'Alex sur le plateau après avoir découvert cette particularité…), il s'est cassé plusieurs côtés durant la scène d'humiliation et a failli se noyer lors du tabassage par ses anciens amis devenus policiers. Son intensité est telle qu'on a l'impression qu'il était né pour jouer ce rôle et d'ailleurs, Kubrick n'aurait pas tourné le film si l'acteur avait été indisponible.
L'iconographie sexuelle y prend une grande place, notamment par les affiches dans la chambre d'Alex, son serpent qui se promène sur une branche stratégiquement placée pour cacher l'entrejambe de la femme dessinée, les deux filles aux sucettes phalliques qu'Alex ramène chez lui pour un ménage à trois hilarant dont l'image et le fond musical sont en accéléré ou encore l'énorme phallus dont Alex se sert pour tuer la "femme aux chats".
Le cynisme de Kubrick infuse le film de bout en bout, rendant cette satire sociale un visionnage obligatoire, non pour se délecter de la violence présente (ce n'est pas possible, de toute façon), mais tout simplement pour admirer ce chef d'œuvre fort en avance sur son temps, puisque c'est seulement maintenant que les psys commencent à s'intéresser aux raisons derrière la violence des criminels et de réfléchir à des moyens de la détecter et surtout, de l'empêcher.
Je laisse le mot de la fin à Stanley Kubrick :
«Ce qui nous interpelle de façon subconsciente est la liberté non coupable que ressent Alex à tuer et violer, à exprimer notre nature sauvage, et c'est de l'aperçu de la véritable nature humaine dont émane le pouvoir de l'histoire.»