Nouveau film de Marjane Satrapi, à qui l’on doit entre autres "Persepolis", "the voices" est une comédie noire fantastique et quelque peu déjantée. Remarqué dans une poignée de festivals, le film recevra deux des prix les plus convoités à Gérardmer en 2015 : le Prix du Jury (ex-æquo avec "Ex_machina" d’Alex Garland) et le Prix du Public (au vu des acclamations dans la salle une fois le générique de fin annoncé et des rires tout au long de la projection, nous ne doutions presque plus de sa victoire, bien que la compétition était très serrée cette année-là à la Perle des Vosges). Hé oui, à Gérardmer, on apprécie beaucoup les comédies fantastiques et cela se voit : "le retour des morts vivants 3", Prix du Public 1994, "le jour de la bête", Grand Prix 1996, "Fido", Prix du Jury 2007, "black sheep", Prix du Jury 2007 (ex-æquo), "teeth", Prix du Jury 2008, sans oublier par exemple les sympathiques "pastorela" et "Remington and the curse of the zombadings" respectivement en compétition en 2012 et 2013…
Deux récompenses à Gérardmer pas forcément volées au vu de la qualité de ce long-métrage dont le scénario, écrit par Michael R. Perry (scénariste de "paranormal activity 2" et surtout de nombreux épisodes de séries telles que "dead zone", "millenium" ou encore "New York unité spéciale"), avait tout de suite plu à Marjane Satrapi de par son côté bien décalé et original. D’ailleurs, ce n’est pas par hasard que le film fut également projeté, entre autres, au Festival International du Film de Comédie de l’Alpe d’Huez…
Mêlant divers registres tels que l’horreur, la comédie noire, le film de serial killer ou même encore la comédie romantique (avec une petite pincée de musiques entraînantes et joyeuses pour égayer tout cela), le film de Marjane Satrapi vous tiendra en haleine du début à la fin, sans véritable temps mort, grâce à ses nombreuses péripéties, ses situations burlesques, ses gags parfois déjantés et surtout son acteur principal, Ryan Reynolds (que nous avons pu voir notamment dans "green lantern", "blade trinity", "ted", "R.I.P.D. brigade fantôme" ou encore "buried" bien-entendu), dans la peau du malheureux Jerry.
Car c’est indéniable, "the voices" doit énormément à son acteur principal incarnant notre schizophrène maladroit (et prêtant également pour l’occasion sa voix aux deux animaux de compagnie de Jerry). Tantôt benêt et amusant (l’impression qu’il donne la plupart du temps dans la vie professionnelle), ce dernier sait également se montrer très lucide (principalement quand il s’entretient avec sa psychiatre) voire même très inquiétant et presque machiavélique quand il est dicté par son chat, véritable psychopathe à quatre pattes.
Un personnage assez complexe, pas évident à jouer (beaucoup de travail sur les expressions du visage et dans les tons de la voix notamment), que Ryan Reynold semble incarner presque naturellement. Et on ne peut s’empêcher de rire (voire même, dans certaines situations désespérantes, d’avoir mal pour lui) de cette véritable descente aux Enfers qu’il vit en une poignée de jours (un meurtre, aussi involontaire soit-il, en appelant un autre, puis un autre…).
Alors qu’il ne menait déjà pas une vie trépidante et joyeuse (enfance douloureuse, pas de petite amie, travail peu gratifiant…), Jerry va de maladresses en maladresses, de malchance en malchance (plan drague foireux, timidité avec les femmes, soirées merdiques dans son restaurant asiatique préféré, accident mortel de sa bien-aimée…), pour finalement devenir serial killer malgré lui! Tuer des gens et cacher les cadavres sans éveiller les soupçons et en suivant à la lettre ce que lui conseille son chat : voilà ce que devient le quotidien du malheureux Jerry qui, bien que tragique il faut le reconnaître, nous fait bien marrer et gigoter dans nos sièges.
Car ce qui est habile et intéressant dans le personnage de Jerry, c’est que ce dernier ne fait plus la distinction entre le Bien et le Mal. Seule sa psychiatre (qui tente désespérément de le sortir de ces troubles du comportement) semble pouvoir l’aider et surtout à présent le sortir de tout ce merdier dans lequel il s’est fourré. Comment? En lui faisant prendre ses médicaments : l’unique moyen qui lui permet de ne plus entendre des voix dans sa tête, de ne plus avoir l’impression que ses animaux de compagnie lui parlent. Et c’est bien là le problème : Jerry semble désarmé quand il est seul, il a besoin d’écouter les conseils de ses fidèles compagnons à quatre pattes, persuadés que ces derniers (et surtout son chat) ont la solution à tous ses problèmes… De ce fait, Jerry préfère ne pas prendre ses médicaments et continuer à vivre dans son monde à lui. Tragique quand on y pense (Jerry ne se rend pas totalement compte de la gravité de la situation qui ne cesse d’empirer et se force à croire que ses actes sont dictés par son chat : dans sa tête, il se déresponsabilise en partie alors qu’il est l’unique responsable de tout ceci) mais sacrément drôle quand on vit toutes ces péripéties avec notre malheureux ami et ses deux animaux faisant office en quelque sorte d’anges gardiens, de bonne (Bosco le chien) et de mauvaise (Mr Moustache le chat) conscience, et s’avérant indéniablement des pièces maîtresses de "the voices".
Un scénario sacrément original donc, au rythme soutenu et au casting bien sympathique. On reprochera peut-être cependant au film de Marjane Satrapi de jouer un peu trop la carte de la facilité par moments : les passages où les animaux parlent sont certes amusants mais très répétitifs, l’explication de l’origine de la schizophrénie de Jerry est quelque peu maladroite et simplette (très cliché)… D’autres trouveront peut-être que l’hémoglobine ne gicle pas suffisamment alors que les passages de découpes de cadavres pour en faire des Tupperware auraient pu être bien barrés et saignants (or "the voices" demeure assez soft sur ce point). La raison à cela est que nous sommes bien souvent dans la tête de Jerry : or, dans son petit monde à lui, la tête coupée de sa bien aimée (conservée dans le frigo) parle mais ne saigne pas (tout est beau, tout est rose quand on ne prend pas ses médocs!), ne pourrit pas non plus… Donc inutile de rendre certaines scènes sanguinolentes ou crasseuses car ce n’est pas ainsi que Jerry notre psychopathe schizophrène les voit.
Au final, même si certain(e)s pourront peut-être reprocher au film de Marjane Satrapi de ne pas faire un peu plus dans le saignant et de jouer un peu trop souvent la carte de la facilité (avec ses dialogues animaliers qui deviennent quelque peu répétitifs par exemple), il faut bien reconnaître que nous détenons là une bien sympathique comédie noire avec des personnages drôles (mention spéciale à Ryan Reynolds, acteur réussissant le pari de tantôt nous faire rire par son air benêt, tantôt de nous inquiéter sous ses airs de serial killer incontrôlable), des situations burlesques et un rythme fort bien soutenu. C’est original, c’est drôle et ça se suit sans réel temps mort : que demander de plus?
...il manque un petit quelque chose pour en faire un film culte. C'est drôle, se laisse suivre sans déplaisir, les acteurs sont bons mais ça ne suffit pas, il n'y a pas d'étincelle. Satrapi aura du mal à retrouver la flamme et la puissance de son premier métrage !
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