Hostel
Hostel
Paxton et Josh, deux étudiants américains, parcourent l'Europe avec la ferme intention de s'éclater. C'est en Hollande qu'ils font la connaissance d'un Islandais, Oli, qui n'hésite pas très longtemps pour se vautrer avec eux dans la démesure : alcool, drogues, prostituées…
Mais un soir qu'ils rentrent trop tard et trouvent la porte de leur hôtel close, un homme les héberge et leur parle d'un endroit où tous leurs fantasmes seraient réalisables. Pour ce faire, nos trois amis doivent se rendre à des milliers de kilomètres, à Prague très précisément.
Dès le lendemain matin, ils prennent le premier train qui les mènera vers l'impensable…
Fermez les yeux. Et remontez le temps, à l'époque où le cinéma de genre brillait sans s'encombrer d'artifices. Exit la censure systématique, les effets numériques, l'égocentrisme et les manières. "Hostel" nous ouvre les portes de l'humainement impensable. D'une cruauté physique et psychologique "intelligemment" contrôlée, Eli Roth, bien loin de son fantasmatique "Cabin fever", nous entraîne dans un paysage où la torture autorisée se monnaye au prix fort.
Grand admirateur du cinéma de genre asiatique, Eli Roth avait à cœur après sa première réalisation ("Cabin fever") de changer de registre et de frapper un grand coup. Il avait prévenu qu'il voulait marquer les esprits, adoubé par un Tarantino surexcité à l'idée de coiffer la casquette de producteur.
Le projet a germé dans l'esprit du cinéaste, en apprenant qu'un site web thaïlandais proposait de se faire tuer en échange de fortes sommes d'argent, reversées aux famille des victimes volontaires ; ces dernières pour la plupart étant des personnes très malades, d'une grande pauvreté, dépressives, se disant prêtes à se "sacrifier" pour assurer un avenir financier à leurs descendants. Du snuff en toute légalité en quelque sorte.
Au-delà de l'horreur de cette réalité, le réalisateur n'en garde que l'horrible intention mais côté profit. Il y est pourtant bien question d'autorisation, mais un droit que s'accorde seul le pouvoir mis en place.
Difficile de classer "Hostel" dans une catégorie bien définie, tant le film oscille constamment entre plusieurs genres. On embarque ainsi tout d'abord dans un road-movie les trente premières minutes, histoire d'installer les personnages et plus particulièrement leurs portraits psychologiques. Les péripéties de nos trois "étalons" basculent rapidement vers la comédie excentrique et l'humour potache, où tous les abus sont permis. Cependant flotte déjà un parfum étrange, une effluve annonciatrice de leur sort à venir : la prise de drogues maladroite, la drague en véritable épreuve de force, et le sexe un exercice physique sans réelle beauté.
Les plans sont crus, la caméra dopée et tournoyante. La tension est palpable et le mauvais trip ne fait alors que commencer.
Prenons place à présent à bord du train qui mène nos trois gaillards à l'Est. Une scène intéressante mais presque dommageable au film tant ce qu'elle contient ne laisse aucun doute sur les intentions et l'implication de l'un des protagonistes. C'est tout de même à ce moment précis que le film va basculer et nous faire entrer de plein pied dans le vif du sujet. Arrivés à l'Hostel (équivalent d'une auberge de jeunesse), ils vont découvrir que la colocation est de mise et que les jeunes femmes slaves ne sont pas spécialement farouches. A l'image de Natalya et Svetlana, deux bombes anatomiques livrées à leurs seules pulsions. Les deux actrices sont excellentes ; au-delà de leurs physiques, leur jeu est impeccable et nous les présente telles deux mantes religieuses contemporaines.
La disparition d'Oli nous permet enfin de découvrir le paysage Tchécoslovaque : une campagne sinistre, ombrageuse, abritant l'antre du mal sur une terre désolée. Rapidement la notion de survival devient une évidence pour nos deux étudiants, et c'est avec la disparition de Josh que nous allons enfin franchir la frontière de l'anecdotique pour découvrir l'horrible réalité.
"Hostel" ne traite pas seulement du trafic d'êtres humains, mais pousse la réflexion bien au-delà en observant le comportement des instigateurs : des hommes blasés par le pouvoir, en quête d'adrénaline, guidés par la recherche du plaisir ultime puisque interdit. A l'image de cet homme d'affaires, chirurgien raté et frustré (Jan Vlasak: "swimming pool - la piscine du danger") terriblement lucide sur le pourquoi de son intention, renforçant ainsi sa monstruosité. C'est également une réalité sociale que le cinéaste nous propose : la pauvreté et les dérives qu'elle peut entraîner, témoin la délinquance juvénile et ces enfants prêts à tuer pour quelques malheureux bonbons. Le tout orchestré par une autorité en place qui ferme les yeux.
Ajoutez à cela une interprétation générale de grande qualité, avec principalement des acteurs locaux aux faciès improbables et de circonstances, un "client" américain dont Eli Roth nous dresse un portrait pas vraiment flatteur, et le clin d'œil du cinéaste à Miike qu'il aime tant. Hormis son talent artistique indéniable, Takeshi se paie le luxe d'apparaître dans un caméo savoureux : quelques secondes qu'il éclabousse d'une classe folle, accompagné d'une réplique qui fait froid dans le dos.
Et qu'en est-il de la réputation sulfureuse et gore dont "Hostel" fait l'objet ? Eli Roth opte pour un mélange de visible et d'invisible. On assiste ainsi à plusieurs scènes "hors-champs", mais la bande son est suffisamment "lourde" et efficace pour provoquer le malaise. L'occasion d'observer une mise en scène minutieuse et quasi-chirurgicale, l'art d'une suggestion savamment réfléchie à l'image de "Massacre à la tronconneuse". Un film référence auquel le réalisateur emprunte aussi un certain visuel, le sang en plus : les décors sont sales, habités tantôt par le silence, tantôt par les cris : de véritables antres de boucheries, éclaboussées de sang du sol au plafond.
La partie visible existe cependant avec quelques effets spéciaux bien sentis : SPOILER – charcutage de doigts à la tronçonneuse, ainsi qu'une scène d'énucléation particulièrement éprouvante - FIN DU SPOILER –
Le plongeon final nous mène dans une course poursuite à la mise en scène énergique, un jeu du chat et de la souris au millimètre près. Le temps de voir défiler les nombreuses geôles emplies de leurs méfaits : un diaporama sanglant qui renvoie aux vitrines sexuelles d'Amsterdam. Terrible constat puisqu'ici la chair n'est plus l'image du désir mais d'une mort démembrée. Place alors au rape and revenge que je vous tairais tant le discours est spontané et irréfléchi.
"Hostel" est un film méticuleux sur bien des points, une empreinte insidieuse qui n'en finit pas de trotter dans la tête. Une forte probabilité à devenir culte.
* Une autre fin avait été tournée à l'origine, mais suite aux réactions des spectateurs et de la censure, Eli Roth a dû revoir la violence à la baisse, et optera pour un final moins choquant.
Site officiel du film : http://www.hostel-lefilm.com/