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Faim absolue du Monde - La
Faim absolue du Monde - La
Deux ans après "La vengeance du frelon noir" (un recueil de trois nouvelles) sorti en 2021, un nouveau livre recensant des histoires courtes sort chez Jaguarundi Editions et s’intitule "La faim absolue du Monde". A la barre, nous trouvons de nouveau l’auteur-scénariste-réalisateur Julien Richard-Thomson qui nous a livré un recueil de quatre nouvelles cette fois-ci.
Quatre nouvelles qui baignent dans le fantastique bien évidemment. Rien de plus normal me direz-vous : pionnier du « Do It Yourself », Julien Richard-Thomson a notamment réalisé des longs-métrages tels que "Time Demon" et "Jurassic Trash" qui se classent dans le cinéma fantastique, sans oublier des documentaires, des webséries ou encore des clips.
Mais notre français originaire de Niort ne reste pas derrière la caméra : Président du Syndicat des Professionnels du Cinéma en situation d’Handicap (SPCH) depuis 2019, il écrit également des romans (on peut citer "Série noire sur la Venise verte"), des nouvelles ou encore des livres parlant de cinéma comme par exemple "La nouvelle vague du cinéma de genre en France" (2021) et "Le cinéma de genre au féminin" (2023).
L'AVIS:
Que contient donc ce fameux recueil intitulé "La faim absolue du Monde" ?
Dans la première nouvelle portant le titre du recueil, nous sommes plongés dans un restaurant à la nourriture fort douteuse (du réchauffé, du gras et encore du gras, des mélanges certes originaux – c’est le moins que l’on puisse dire - mais pas forcément digestes, un manque de finesse et de subtilité bien ressentie dans le menu, à l’image de ces noms de plats ridicules et drôles à la fois…) avec une serveuse en proie à un client extrêmement vorace parti pour manger tout ce qu’il y a en cuisine, à la manière d’un Obélix dans l’épreuve culinaire des "Douze travaux d’Astérix".
Très simple à lire, cette histoire nous place face à un imposant bonhomme aussi mystérieux qu’effrayant, avec tout ce qu’il faut comme touches d’humour pour équilibrer parfaitement cette nouvelle distrayante baignant progressivement dans le fantastique.
Dans la seconde histoire intitulée "Une histoire de fantômes et de pinces à linge", une syndicaliste retraitée se retrouve perturbée par le retour de certaines de ses anciennes collègues qui vont lui donner bien du fil à retordre. En proie à un mal qui semble prendre racine dans le fantastique et plus particulièrement le surnaturel, notre malheureuse ancienne ouvrière va être confrontée de nouveau à ses vieux démons : son ancien patron, aussi méchant que peureux, et son fils, aussi vulgaire que rentre-dedans.
Une histoire oscillant entre drame et fantastique, avec une fois de plus un humour bien distillé (notre malheureuse retraitée qui se lance dans une quête meurtrière à bord d’une voiture qu’elle ne sait pas conduire faute de permis est un moment délicieux et l’un des plus amusants du livre en ce qui me concerne, imaginant à la lecture de ce passage cette chère Cruella D’Enfer en train de conduire n’importe comment sa bagnole dans "Les 101 Dalmatiens" ou encore une certaine Sœur Clotilde conduisant la fameuse « dodoche » dans la saga des Gendarmes de St Tropez) qui nous fait passer un bon petit moment de lecture sans réel ennui.
Dans la troisième nouvelle (que l’on retrouve également dans le recueil "La vengeance du frelon noir"), "Clic-Clap", nous assistons à ce qui ressemble à une fin de carrière d’une cinéaste n’ayant jamais trouvé le succès, prête à se suicider en raison de ce manque de reconnaissance dans sa profession et la sensation de n’avoir rien trop fait de sa vie (la pauvre doit également s’occuper en partie de son mari atteint de la maladie d’Alzheimer et interné dans un endroit spécialisé, un avenir des plus compliqués pour quelqu’un qui approche pourtant de la retraite, synonyme normalement de tranquillité et de quiétude, loin du stress que la vie active nous procure généralement). Mais voilà, notre cinéaste (et ancienne professeure d’anglais) va voir son moyen-métrage le plus mémorable de sa carrière réhabilité lors d’une soirée où journalistes, étudiants en cinéma et quelques personnalités sont présentes. Une nouvelle vie qui semble s’offrir à l’ex-suicidaire, alors sous le feu des projecteurs et sous les interrogations de fans insoupçonnés jusque-là.
A la manière de la première histoire du recueil, "Clic-clap" baigne dans le réalisme durant la plus grande partie de son récit pour soudainement laisser part au fantastique dans son dernier acte (là où la seconde nouvelle montrait un penchant pour l’irréel – voire l’absurde – très rapidement au fil des paragraphes). Entre imaginaire (chaque évanouissement de notre cinéaste semble nous préparer à un réveil dans un nouvel univers où les questionnements sont nombreux), questionnements multiples (on s’interroge souvent sur ce qui arrive à notre cinéaste, face à tant de situations parfois paradoxales) et humour bienvenu une fois de plus (ce passage où notre réalisatrice se retrouve dans un bar à l’ambiance métal/gothique face à un film des plus surprenants – je n’en dirai pas plus – est probablement le moment le plus farfelu du livre de Julien Richard-Thomson : un cauchemar éveillé pour le personnage principal mais un délire inattendu pour le lecteur), encore une fois la lecture de cette histoire s’avère un agréable moment.
Chose intéressante à mentionner dans "Clic-Clap" et qui vient faire un petit clin d’œil à un autre livre auquel Julien Richard-Thomson a participé - "La nouvelle vague du cinéma de genre en France" - nous sommes face à un personnage déçu du Monde du Cinéma, qui parle du manque de reconnaissance, des difficultés à réunir des fonds pour tourner, des complications pour trouver des producteurs et donc pour donner vie à ses idées de scénario (qui, du fait peut-être de leur singularité/originalité, rendent peut-être un peu frileux certains producteurs qui du coup se font discrets). Un Monde du Cinéma que l’auteur connait bien, lui-même ayant rencontré des difficultés pour tourner des films en France et s’étant tourné notamment vers le « Do It Yourself » pour donner vie à certains de ses projets cinématographiques.
Enfin, dans la quatrième histoire intitulée "L’ultime demeure", nous faisons la connaissance d’un homme qui souhaite changer de vie après le départ de sa femme. Celui qui a toujours vécu dans une horrible routine de sédentaire décide de changer d’air, partir en vacances et changer d’habitation.
Voici probablement l’histoire qui combine au mieux le fantastique et l’humour dans le recueil "La faim absolue du Monde" (entendons par là un mix parfait et surtout une dose de fantastique bien plus importante que dans les trois nouvelles précédentes).
Le ton est donné à l’humour par le biais de ces personnages atypiques (un casanier aux allures claires de vieux garçon radin bien qu’il ait vécu 27 ans en couple, sa collègue rondouillette naïve et apprentie-médium, un sans-papier à l’accent hilarant qui se retrouve mêlé malgré lui à cette histoire dingo, sans oublier un personnage surprise en fin d’histoire aussi perché que terrifiant) mais le comique de situation est également de la partie avec par exemple ce grand moment de « spiritisme pour les nuls » avec tout ce qu’il faut comme clichés relatifs au paranormal et plus particulièrement aux séances d’invocation (nous avons alors l’impression de baigner en pleine parodie avec tout ce petit monde qui se tortille dans tous les sens, rentrent en lévitation et… Je n’en dirai pas plus une fois de plus…).
Vous l’aurez compris, ce recueil de quatre nouvelles signées Julien Richard-Thomson baigne entre réalisme et surnaturel, entre humour et sérieux, tout au long de ces histoires.
En termes de littérature, j’avoue être friand de mix humour/fantastique plus particulièrement et cet humour (tantôt noir, tantôt absurde, tantôt subtil) distillé dans les histoires qui nous sont contées ici fait très souvent mouche, qu’il s’agisse de passages entiers humoristiques (comme déjà cité, les trois moments les plus mémorables en termes de « rigolerie » sont la séance de spiritisme bas de gamme de "L’ultime demeure", la virée en voiture sans permis de conduire dans "Une histoire de fantômes et de pinces à linge" et la plongée dans le bar à l’ambiance métal/gothique de "Clic-clap") ou de quelques petites touches parsemées (des mots, des expressions, des descriptions courtes et amusantes) et bien trouvées de la part de notre auteur.
Concernant l’aspect fantastique, nous apprécierons que tout ne soit pas expliqué dans chacune de ces nouvelles. Il demeure en effet toujours une part de mystère, d’interrogations, qui laissera libre cours à l’imagination des lecteurs (parfois des explications simples nous viendront en tête, parfois des choses plus subtiles, plus enfouies dans nos méninges).
Et hormis quelques fautes d’orthographe sans grande importance et suffisamment rares pour rester anecdotiques, il faut reconnaître que ces quatre nouvelles se lisent sans déplaisir : teintées d’humour, emplies de mystère et ne faisant pas la part belle à des paragraphes descriptifs imbuvables car horriblement longs (comme on en voit chez certains auteurs) mais plutôt à des flashbacks intéressants sur le passé de nos divers personnages, "La faim absolue du Monde" est un recueil recommandable sans hésitation.
Et j’avoue que voir une adaptation filmique de "Une histoire de fantômes et de pinces à linge" et/ou "L’ultime demeure" sous forme de moyen ou long-métrage pourrait être intéressant avec tout ce qu’ils comportent comme aspect humoristique, fantastique et dramatique.