MASSACRE A LA TRONCONNEUSE , un dossier de Stéphane Erbisti

Pour la génération "Scream", "Massacre à la Tronçonneuse" n'est pas forcément un bon film. "Pas de sang", "on ne voit rien", "avec un titre pareil, ils auraient pu montrer les meurtres" sont les principaux reproches adressés au film par ceux qui croient que le film d'horreur est apparu en 1996. Il faut dire que la presse non spécialisée les induit souvent en erreur et il n'est pas rare (voire très fréquent !) de voir ce film classé ou cité parmi les films gores. CE QU'IL N'EST PAS !!!!!!!!! Voilà, c'est dit une bonne fois pour toutes !

1974 : Tobe Hooper n'a réalisé que deux documentaires pour la télévision, plus un film "Eggshell". Il décide de se baser sur l'histoire du serial-killer Ed Gein, qui conservait le cadavre de sa mère chez lui, tuait des jeunes filles, leur prélevait la peau pour en faire des masques ou des vêtements, et mangeait leurs organes de temps en temps. Il rédige alors un scénario sur une famille de bouchers au chômage qui compense le manque de travail en abattant les touristes égarés près de chez eux. "The Texas Chainsaw Massacre" allait bientôt surprendre les spectateurs du monde entier.

HISTOIRE :

18 août 1973. Cinq amis se rendent au Texas afin de voir si la tombe du grand-père de l'une des filles, Sally, accompagnée de son frère handicapé Franklin, n'a pas été profanée. En visitant le coin, ils vont tomber sur une famille de bouchers au chômage, complétement fous, dont l'un des membres porte un masque de peau humaine et manie la tronçonneuse avec virtuosité... Le cauchemar ne fait que commencer...


ANALYSE :

Je me souviens de la première fois où j'ai vu, dans un petit cinéma de quartier, à l'âge de 11 ans, l'affiche du film. Whouaah !!! Quel titre !! "Massacre à la Tronçonneuse" !! Ca devait être terrible !! Le film est passé sur Canal +, je n'avais pas le décodeur et réceptionnais mal les images de cette chaîne, les ayant en noir et blanc. J'ai quand même regardé le film. Je n'ai pas vu grand chose mais je savais que c'était génial. Le lendemain, surprise, mon oncle m'apportait la k7, en clair et en couleurs ! LE CHOC ABSOLU !!
Le film de Tobe Hooper possède un pouvoir attractif encore inégalé à ce jour. La grande force du film provient justement de ce que la nouvelle génération de spectateurs lui reproche : son absence d'effets spéciaux et sanglants. En échange, le film propose de nombreuses choses : une ambiance malsaine, une atmosphère de folie totale rarement atteinte au cinéma, la plus belle famille de dégénérés jamais vue, une héroïne championne du monde de cris stridents et de longue durée, la seconde utilisation de la tronçonneuse comme arme de mort (après "La Dernière Maison sur la Gauche"), des décors morbides, des scènes de "tortures psychologiques" très crues et qui provoquent le malaise chez le spectateur. Et tout ça, rien que par la suggestion et par le talent de la réalisation.

Dès le générique, Hooper ancre son film dans la réalité. Un petit texte vient nous expliquer que l'on va assister à des événements ayant eu réellement lieu et que ces crimes font partie des annales de l'histoire des Etats-Unis. Le fait d'inclure une date, le 18 août 1973, renforce cet aspect réaliste, voire documentaire. La séquence pré-générique instaure d'entrée un certain malaise. Sur un fond noir, des flashs d'appareils photos nous montrent des parties d'un corps cadavérique, puis le cadavre en entier, attaché à un autre corps, placé dans un cimetière sur une stèle, pendant qu'une voix off nous explique que la région est sous la coupe de déterreurs de cadavres. Le générique enchaîne dans un vacarme sonore, sur fond d'images du soleil filmé de près, lui rendant son apparence de boule de feu. Les astres ont de l'importance dans le film. En effet, on verra de nombreux gros plans du soleil, puis de la pleine lune. De plus, l'une des filles du groupe étudie un ouvrage sur l'astrologie. Celui-ci lui prédit que la journée sera de nature plutôt cauchemardesque. Leur destin était-il déjà tout tracé ?

Ensuite, après les présentations des personnages, Hooper, comme Stephen King dans ses romans, fait intervenir la peur dans la vie de tous les jours. Les premiers prémices proviennent de la séquence avec l'auto-stoppeur. Dès le départ, on sent que ce gars là, il n'est pas clair. Racontant avec détails la vie des abattoirs ou la recette du bon fromage de tête, sa complaisance à raconter le morbide inquiète le spectacteur. Mais même chez les "normaux", le morbide passionne. Franklin, à son tour, raconte comment le bétail est tué avec les nouvelles méthodes de pistolet à air comprimé. La scène où l'auto-stoppeur s'entaille la main finit complétement de convaincre le spectateur que le personnage qu'ils ont en face d'eux a un problème : il est fou à lier ! Ce sera, d'ailleurs, pratiquement les seules gouttes de sang que nous verrons dans le film. Hooper fait encore plus fort ensuite. La découverte de la maison de Leatherface. Il fait un superbe soleil, la maison a l'air tout à fait normal, il y a même une balancelle. Une famille tranquille doit sûrement habiter ici. Puis Kirk ramasse un petit objet : une dent humaine. A nouveau, Hooper fait participer le spectateur qui comprend que cette maison n'est pas ce qu'elle semble être. Intervient pour moi LA scène choc du film. Kirk, seul à l'intérieur de la maison, trébuche vers une porte ouverte. Surgit Leatherface, maillet au poing, qui lui assène un violent coup sur la tête. Leatherface ramasse le corps de Kirk comme s'il s'agissait d'un vulgaire sac de patates, le rentre à l'intérieur et referme une porte de métal.

Une musique très glauque vient résonner sur l'écran. Et là, je peux vous dire que nos nerfs sont mis à rude épreuve. Cette musique et cette porte en fer font naître la peur en une fraction de seconde. On sait alors que la fille va subir le même sort et on voudrait lui dire de ne pas rentrer. Mais Hooper joue avec le spectateur. Plutôt que de faire resurgir tout de suite Leatherface, il envoie Pam dans une pièce cauchemardesque. Plumes, ossements par centaines, crânes suspendus, poule enfermée dans une minuscule cage, bras coupé servant de lampe, autant d'éléments du décor qui nous font comprendre que nous sommes bien dans la maison de l'horreur et que ce ne sont pas les premières victimes qui entrent ici. Rappelons que le film fut tourné sous un soleil accablant et on peut s'imaginer la puanteur qui devait régner dans cette pièce, la chaleur accélérant la décomposition des os et autres éléments du décor.

La suite fait partie des scènes cultes du film. Leatherface attrape Pam, la soulève comme une plume et la suspend à un croc de boucher. L'actrice avait en fait un harnais pour qu'on puisse la suspendre. Mais le harnais la faisait horriblement souffrir et les cris qu'on entend ne sont pas tous de "faux" cris. Hooper, par une habile réalisation, nous montre une bassine sous les pieds de la victime. Pas besoin de montrer le sang qui coule. L'imagination du spectateur fait le reste. Et puis vient le moment "magique", le démarrage de l'instrument de la mort. La tronçonneuse entre en action, vrombissante, ne demandant qu'à découper de la viande. On ne verra que le bras de Kirk étendu sur la table mais là encore, le pouvoir suggestif des images nous fait bien comprendre le sort peu enviable qui lui est reservé. Le film enchaîne ensuite sur la mort de Jerry et nous faisons plus connaissance avec Leatherface, filmé en gros plan. On peut penser qu'il s'agit d'un demeuré, ayant régressé à l'état primitif (il ne cause pas mais émet seulement des sons). Une grande solitude semble le toucher, car il reste là, assis sur un tabouret, seul, comme si aucun meurtre ne venait d'être commis. Mais il est en même temps méthodique, regardant bien s'il n'a laissé personne s'enfuir. Il ne laisse aucune chance à ses victimes. Le pauvre Franklin en fera les frais, immobilisé sur son fauteuil roulant, il se fera découper devant sa sœur. S'ensuit alors un passage jubilatoire, où Sally se fait courser par Leatherface dans les bois. Une course effrénée, dans une nuit très noire, juste illuminée par la pleine lune, où les cris de la jeune fille ne semblent jamais s'arrêter. Les scènes suivantes s'enchaînent sans temps mort. Sally tombe sur la maison de Leatherface et découvre au premier étage deux corps momifiés. On pense alors à Norman Bates du film "Psychose" qui conservait également le corps de sa mère. La course-poursuite reprend et Sally arrive dans la petite station-service du début. Il est fort dommage que Hooper ait décidé de supprimer une scène à ce moment. En effet, on aurait dû voir Leatherface dégouté de voir sa victime lui échapper et il devait exécuter cette sorte de danse où il fait tournoyer son arme au-dessus de sa tête, comme pendant la dernière scène du film. Ce qui donnait justement plus de poids à cette dernière scène, Sally lui échappant encore.

Sally est donc ensuite capturée par le propriétaire de la station-service qui la ramène justement… dans la maison de Leatherface, tout en ayant pris au passage… l'auto-stoppeur du début ! Le propriétaire, plus agé, semble être le chef de cette famille. Il domine Leatherface, qui n'ose rien faire devant lui. Seul l'auto-stoppeur lui répond mais on voit bien qu'il se méfie quand même de lui. Commencent alors les scènes de tortures psychologiques envers Sally. Et là, on ne rit plus du tout. Tout comme dans "La Dernière Maison sur la Gauche", ces scènes sont assez dures à regarder car très réalistes, même si elles ne montrent rien. La jeune fille est véritablement en proie à l'hystérie, ses cris font naître un réel malaise chez le spectateur. La famille Tronçonneuse s'amuse avec elle, fait boire son sang au grand-père du premier étage, qui est toujours vivant ! Ce qui fait tomber Sally dans l'inconscience. A son réveil, le dîner va être servi. Autour de la table, les trois frères. Leatherface porte un masque de femme. Pourquoi ? Ici encore, Hooper a supprimé une scène capitale, et le regrette aujourd'hui. On voyait Leatherface se maquiller, se mettre du fond de teint. Dommage… Revenons à Sally.

Toutes ses supplications, toutes ses demandes de liberté ne font qu'accroître le plaisir sadique de la famille. Hooper filme alors en gros plans les yeux injectés de sang de Sally. La tension est à son comble. Le spectateur voudrait que tout s'arrête pour elle. La folie à l'état pur, dans ce qu'elle a de plus monstrueux, voilà ce que nous propose Hooper. La démence absolue. Malgré l'intervention du frère le plus âgé, qui tente de réfréner l'ardeur morbide de ses deux frères, la situation ne fait qu'empirer. Arrive le petit jeu qui déclenche le paroxysme de la folie. Faire tuer Sally par le grand-père. Les trois frères ne tiennent plus, ils jubilent devant un jeu qui apporte la mort. Sans remords. Quand le grand-père touche enfin le cou de Sally, c'est l'explosion de joie. Sally profite de ce relachement pour s'enfuir. Dehors, il fait jour. Son calvaire a donc duré toute la nuit. Abominable. Elle n'a plus de force mais son désir de rester en vie lui permet de courir quand même. L'auto-stoppeur, le plus agressif des trois, la poursuit, lui lacére le dos avec un couteau. Il mourra écrasé par un camion, scène assez spectaculaire. Leatherface le rejoint. Aidé par un routier, Sally parviendra à lui échapper. Pour elle, le cauchemar est fini. Enfin. Voyant sa victime lui échapper, Leatherface se met à exécuter une sorte de danse avec son engin de mort. FIN. Une fin rapide, brutale, sans concession, tout comme le chef-d'œuvre absolu qui vient de défiler sous nos yeux.