Blue velvet

Blue velvet

Sur un chemin de campagne, le jeune Jeffrey Beaumont trouve une oreille coupée. Bizarre, intriguant, incongru… Bref, un élément qui n'est pas à sa place et qui va éveiller une grande curiosité chez le jeune homme. Il retrouve la jolie Sandy, qui est secrètement amoureuse de lui, l'informant sur certains points qui pourraient être liés à cette curieuse affaire. Mais les problèmes commencent lorsque Jeffrey décide de suivre d'un peu trop près la chanteuse de cabaret Dorothy Vallens…

BLUE VELVET | BLUE VELVET | 1986

Venant de sortir de l'échec retentissant de "Dune", David Lynch change à nouveau de genre après avoir versé dans l'horreur ("Eraserhead"), le drame ("Elephant Man") ou la science-fiction ("Dune"). Mais qu'importe le genre bien défini, puisque Lynch aborde continuellement un style très proche du cinéma fantastique, ou de l'horreur. Et excepté "Une histoire vraie" qui fut sa pause cinématographique, tous ses films sont directement liés à notre genre préféré. Avec "Blue Velvet", il donne un polar noir d'encre, dont l'émotion et l'esprit qui s'en dégagent donnent réellement l'impression d'avoir découvert un film fantastique. Pas de fantômes, pas de surnaturel, même pas de visions surréalistes ou de construction scénaristique hypercomplexe, non. Tout est dans l'ambiance, les personnages et le style. Un peu à la manière de "Faux semblants", "Blue Velvet" a beau ne pas être un véritable film fantastique en soi, il se verra quand même décerner le Grand prix au festival d'Avoriaz en 1987.

A plusieurs égards, Blue Velvet annonce l'univers "Twin Peaks", en particulier l'idée de cette ville à l'apparence tranquille, cachant en fait des hordes de dégénérés et de psychopathes de tout poil. D'ailleurs Kyle MacLachlan reviendra chez Lynch via cette série culte et le film qui a suivi. Timide, innocent, trop curieux, il est le héros pur dans toute sa splendeur, vivant encore chez ses vieux parents (remarquez bien que sa mère et sa tante ne font que mater des thrillers à la t.v pour s'occuper). Lynch nous met en place dans cette ville respirant le bonheur et la fraîcheur, une vision tranquille rappelant les peintures de Norman Rockwell. Un univers qui va s'écrouler lorsque le père de Jeffrey est frappé au ralenti par une attaque douloureuse, qui le plonge dans le coma. La caméra glisse pour nous plonger dans un jardin rongé par des insectes peu ragoûtants, grouillant par dizaines. Sous cette herbe soyeuse et bien verte, se cache cette horrible vermine, envahissant l'écran comme c'est pas permis. La métaphore avec la ville de Lumberton est évidente et le film peut enfin commencer.
Jeffrey rend visite à son père à l'hôpital, et dans un petit champ, trouve une oreille coupée ! La ramenant au sympathique inspecteur Williams, il retrouve par la même occasion une ancienne amie, Sandy, ici incarnée par Laura Dern qui connaitra pendant un moment une certaine reconnaissance en jouant dans "Sailor & Lula" et "Jurassic Park" avant de sombrer dans l'anonymat. Le jeune Jeffrey entend parler d'une certaine Dorothy Vallens, une chanteuse de cabaret aux mœurs douteuses et au passé trouble. Une jeune femme singulière et bigarrée, se rendant dans le cabaret du coin pour pousser la chansonnette. Une chanson qui fait bien sûr le titre du film, mais qui reste accrochée à l'esprit du spectateur du début jusqu'à la fin, et qui raisonne un peu plus dans la tête lorsqu'on aperçoit la robe de chambre en velours bleu de Dorothy.

Isabella Rossellini incarne un rôle extrêmement difficile et elle s'en sort magistralement, alternant extrême fragilité et personnalité perverse. Une jeune femme dont le fils et le mari sont retenus en otage par un certain Frank, un être terrible, débordant d'une ultra violence en perpétuelle ébullition. Un mot ou un son de trop, et la personne en face de lui risque de passer un très mauvais quart d'heure. Accompagné par des sbires tout aussi frappadingues (un vieux qui claque des mains et qui répète son nom sans cesse ou encore Brad Dourif jouant les figurants, entre autres), il torture et viole la pauvre Dorothy quand l'occasion se présente, tout en se shootant au gaz. Ce qui donne une scène incroyablement malsaine, à l'ambiance glauquissime et qui a marqué durablement les esprits. Témoin pendant une partie du film, Jeffrey va découvrir l'envers du décor, plongeant dans une descente aux enfers qui va littéralement le dépasser. Et si Sandy découvrait sa liaison sado masochiste avec Dorothy, si elle découvrait elle aussi ce monde terrifiant ? Jeffrey va tenter de la protéger, tant bien que mal.
Entre des situations rappelant certains films de Hitchcock (la séquence finale est à ce titre un modèle de tension absolument ahurissant) et une atmosphère se tendant de plus en plus, pour finir par exploser au moment où on ne l'attend pas, "Blue Velvet" est formidable en tout point. Lynch crible son film de détails incongrus, inquiétants ou drolatiques, mais toujours surprenants : l'aveugle devinant sans problème combien de doigts affiche Jeffrey, cette semi maison close envahie de prostituées obèses et repoussantes (clin d'œil à Fellini ?), cette robe de chambre en velours bleu auquel Frank voue une obsession dérangeante, cette oreille coupée trouvée dans le champ dès le début…

L'interprétation de Dennis Hopper en psychopathe drogué au gaz est restée gravée dans les mémoires, tout comme l'inquiétante performance de Dean Stockwell (l'ange gardien de Scott Bakula dans la série "Code Quantum") en travesti lui aussi bien atteint, surtout quand il se met à chanter sur la superbe chanson de Roy Orbison "In Dream". Frank est par ailleurs une incarnation totale du mal à l'état pur, comme l'est Jeffrey au niveau de l'innocence. Il est d'un sadisme et d'une méchanceté sans pareil, à l'opposé donc du pauvre Jeffrey, ce côté très "double maléfique" est renforcé lorsque Frank délivre à Jeffrey dans une séquence : "Tu es comme moi". Même chose du coté féminin, Dorothy est une brune ténébreuse et traumatisée par un douloureux secret alors que Sandy est une jolie blonde, rêvant de rouge gorges s'apprêtant à sauver la terre.
Un thème là encore repris de Hitchcock dans "Vertigo", que Lynch reprendra encore pour "Lost Highway" et "Twin Peaks". Pour retrouver l'harmonie totale comme on pouvait le voir au début du film, il faut tuer Frank, il faut éliminer le Mal, et ce ne sera pas simple pour Jeffrey. En oscillant entre beauté très 50's et thriller angoissant, Lynch fait appel au compositeur Angelo Badalamenti, qui dépasse de loin nos espérances en signant une bande originale mariant parfaitement ces deux ambiances, avec quelques chansons rétro et un splendide thème tout à fait bouleversant chanté par Julie Cruise, qui plongera quelques années plus tard dans l'univers musical de "Twin Peaks". Audacieux, le film se permet des écarts d'érotisme bien osés, définitivement anti-hollywoodiens. Idem pour la relation troublante entre Jeffrey et Dorothy, tout à fait ambiguë et bizarre, comme l'affectionne Lynch. Chef-d'œuvre absolu de son auteur, "Blue Velvet" aurait pu sombrer en un simple thriller entre les mains de n'importe qui. David Lynch, avec son sens du bizarre et de la folie, aboutit à une œuvre stupéfiante et fascinante. Laissez-vous donc envelopper dans cet envoûtant morceau de velours bleu et envolez-vous dans le monde unique de David Lynch.

BLUE VELVET | BLUE VELVET | 1986
BLUE VELVET | BLUE VELVET | 1986
BLUE VELVET | BLUE VELVET | 1986
Note
5
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Jérémie Marchetti