Affiche française
AKIRA | AKIRA | 1988
Affiche originale
AKIRA | AKIRA | 1988
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Akira

Akira

Pour les amateurs d'animation japonaise, le printemps 1991 marque une date dans l'histoire du cinéma. Habitués comme nous l'étions aux nombreux petits épisodes télévisés, d'une qualité plus ou moins médiocre, qui monopolisaient les programmes réservés à la jeunesse, ce n'était pas sans étonnement que l'on s'entendait annoncer la sortie, sur grand écran cette fois, d'un dessin animé nippon doté d'une durée de deux heures. Si la méfiance et les a priori peuvent expliquer le relatif insuccès du film en salles, le bouche à oreille fonctionna pourtant par la suite ; aujourd'hui encore, beaucoup de ceux qui ont vu "Akira" le considèrent comme un film "culte".

Le long métrage d'animation de Katsuhiro Otomo, adapté de son propre manga (dont les six volumes furent publiés de 1982 à 1995), semble en effet révolutionnaire, tant par la qualité de son graphisme que par l'imagination qu'il déploie et la volonté de sérieux de son sujet. Univers cyberpunk, violence, réflexion : "Akira" ouvrait la voie à un dessin animé ne s'adressant plus vraiment aux enfants.

Reste à savoir si, avec le recul, cet enthousiasme n'a pas trouvé matière à modération.

AKIRA | AKIRA | 1988

2020. NéoTokyo, reconstruite après un cataclysme nucléaire, brille de tous ses feux, mais est aussi la proie de la pauvreté, de l'insurrection sociale, du terrorisme et de la délinquance. Une bande de motards adolescents, fédérés autour de Kaneda, passe le plus clair de son temps en affrontements ultra violents avec les "Clowns", une autre bande rivale. Une nuit, cependant, leurs règlements de compte motorisés vont déraper plus que de coutume. La moto de Tetsuo, membre sous-estimé de la bande de Kaneda, explose au moment où elle s'apprêtait à percuter un enfant au visage étrangement vieilli. Les hélicoptères de l'armée débarquent, et Tetsuo est emmené pour subir des tests. Lorsque ses amis le retrouveront, il ne sera plus le même…

Pas de doute, "Akira" a encore de quoi impressionner. Doté d'un budget inédit pour ce genre de projet, de quelques 2200 prises de vues et d'une gamme de couleurs inaccoutumée (une cinquantaine d'entre elles ont été conçues spécialement pour le film), la première chose qui frappe est le rendu réaliste de l'univers représenté par Otomo et son équipe. Un atout indéniable lorsqu'il s'agit de rendre crédible un monde futuriste.

Cette qualité ne réside pas tant dans les plans d'ensemble de la ville, curieusement assez peu élaborés, ni dans les scènes de dialogues, dont l'animation reste relativement plate et conventionnelle, que dans la cinématique des scènes d'action, pourvues d'un découpage et d'un cadrage véritablement cinématographiques (travelling, point de vue subjectif, variation des cadrages, etc.). Courses poursuites et affrontements ne culminent plus dans des arrêts sur image où le volume de la musique se charge de signifier l'intensité d'un événement, comme on l'a trop vu dans nombre de dessins animés japonais. Le déroulé des mouvements corporels et machiniques obtient ici une fluidité comparable à celle qu'on peut trouver dans un film, et même une définition supérieure, le dessin conservant la netteté des traits. Si on y ajoute le maniérisme des lumières rémanentes ou des volutes de fumée à la plastique lourde et onctueuse, des vapeurs s'échappant des lèvres dans une atmosphère réfrigérée ou des reflets courant sur des tubes d'acier ou des morceaux de verre, l'œil du spectateur subit une sorte d'hallucination constante, où il voit davantage que d'ordinaire.

C'est par le biais de cette fascination visuelle qu'Otomo nous immerge dans une cité aux contrastes exacerbés. Ville de lumière, de luxe et de technologie, NéoTokyo stagne pourtant avec une sorte de froide torpeur dans la perte de toute valeur, et se laisse gangrener par une sombre périphérie que les autorités peinent à réprimer. Manifestants, résistants, religieux, politiques, militaires et scientifiques, autant de forces aux abois qui s'affrontent et se côtoient dans un statu quo aussi rigide qu'explosif, chacune d'entre elles cherchant la voie d'un renouveau. Eloignés de ces considérations, les adolescents de "Akira" apparaissent tous en rupture de ban, orphelins laissés à eux-mêmes, oisifs, violents ; leurs rapports sont faits d'agressivité, de rivalité et de haine, quand ils ne se révèlent pas tout simplement stupides et immatures… Et pourtant, c'est bien par l'un d'entre eux que la situation de NéoTokyo va se dénouer.

On entre là dans la spécificité du film de Katsuhiro Otomo. Un personnage apparemment insignifiant, qualifié de "morveux" par ses camarades, va tout à coup représenter tous les espoirs et toutes les craintes de NéoTokyo. A défaut d'être quelqu'un, il va être quelque chose, l'hôte d'une puissance démesurée qui va entraîner le film vers une issue grandiose et apocalyptique. De bout en bout, Tetsuo souffre. Abandonné enfant, sous-estimé en permanence par la suite, puis, au moment où il pourrait enfin s'affirmer, découvrant qu'il n'a été qu'un cobaye, et que la puissance qui l'anime, plus grande que lui, risque de l'anéantir, les autres aussi cherchant désormais à le neutraliser. Tour à tout suppliant et rageur, et ce dans des proportions de plus en plus folles, cette figure christique inédite a cependant du mal à nous toucher.

Car malheureusement, "Akira" a aussi de quoi décevoir, et même agacer. Le propos dit "philosophique" du film, par exemple, s'il décoiffe par son illustration, n'est pas nouveau en soi, ni si compliqué que cela à comprendre. C'est plutôt la façon dont il est amené, par des énigmes et des interrogations qui nous amènent à reconstituer progressivement le sens des choses, à la façon d'un puzzle, qui donne cette impression de complexité, en vérité plus scénaristique qu'intellectuelle. On tente de domestiquer une puissance d'origine cosmique (ou cosmogonique, ou animique, comme on voudra) qui s'avère ingouvernable et entraîne destruction et renouveau. Inutile pour autant de considérer "Akira" comme un film profond, car ce n'est pas de ce côté-là qu'il invente la poudre. Et si Otomo en avait été conscient, peut-être aurait-il apporté davantage de soin à ce qui en manque cruellement.

Ainsi la représentation des autorités militaires, scientifiques et politiques s'en tient à une caricature on ne peut plus commune (raison d'Etat, irresponsabilité, lâcheté et corruption) et qui ne prend guère d'envergure, que ce soit dans le cadre d'un univers cyberpunk ou non. On eût aimé des personnages un peu plus singuliers, histoire d'éviter d'avoir affaire à de simples marionnettes creuses, et d'assister à des scènes qu'on aurait trouvé imbuvables de convention dans n'importe quel film. On ne rattrape rien avec les personnages féminins, Key et Kaori, dont le rôle s'avère quasi figuratif et enlève toute portée émotionnelle à des événements qui auraient du en receler. Et ne parlons pas de la niaiserie qui parsème le film ici et là, avec Kaneda et consorts, procédé pour le coup typique du dessin animé en général, asiatique ou non, et probablement destiné à soulager le spectateur d'une tension trop forte… Des impairs qu'on aurait pu pardonner, si seulement ils n'avaient pas pris tant de place dans la durée du film.

Au bout du compte, le visionnage de "Akira" laisse sur un constat un peu mitigé ; on se sent à la fois impressionné et déçu. Peut-être le projet était-il trop ambitieux, Otomo ayant du concentrer les six volumes de son manga pour le faire tenir sur une durée de deux heures… finalement trop courtes. Mettant la priorité à la réussite graphique et au sens de son œuvre, ce qu'on ne peut guère lui reprocher, il se contente pour une grande part de personnages prototypes qui prennent peu de consistance, tant et si bien qu'on frise, si on y réfléchit bien, la pure illustration de thèse. C'est dommage.

AKIRA | AKIRA | 1988
AKIRA | AKIRA | 1988
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Retrouvez la critique de la musique du film :
http://www.horreur.com/fiche_zik.php?idzik=53

Note
3
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Stéphane Jolivet