Alice
Neco z Alenky
Alice, librement inspiré du célèbre livre de Lewis Carroll, dépeint une aventure au pays des rêves, parfois teintée de cauchemars. Dans la chambre de la jeune Alice à la chevelure blonde, un lapin blanc empaillé prend vie, brise sa cage en verre et s’enfuit. Alice le poursuit...
L'AVIS :
Jan Švankmajer, déjà reconnu pour son court-métrage Dimensions of Dialogue (1982), confirme son génie avec cette œuvre de 1988, une adaptation libre des Aventures d’Alice au pays des merveilles et De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll.
Contrairement à de nombreuses adaptations qui échouent à saisir l’essence des œuvres de Carroll, Švankmajer parvient à créer une version où l’enfance se transforme en un rêve à la fois fascinant et troublant. Le film, qualifié de « film pour enfants, peut-être », suit les événements clés des livres dans un ordre semblable à celui du film Disney de 1951, mais omet certains personnages comme Tweedledum, Tweedledee et le chat du Cheshire. Alice est un véritable cauchemar visuel où le grotesque et le charnel se mêlent, avec une fusion troublante d’organismes et de machines, agrémentée d’une touche d’humour noir. Alice, lassée par ses leçons, poursuit un lapin blanc dans un terrier et découvre un univers absurde où elle change de taille selon ce qu’elle mange, devient géante dans la maison du Lapin Blanc, et participe à un goûter absurde avec le Chapelier Fou et le Lièvre de Mars.
Bien que les éléments de l’histoire soient familiers, la vision de Švankmajer leur confère une originalité inquiétante. Le Lapin Blanc est représenté comme un cadavre empaillé aux yeux exorbitants et aux dents grinçantes, établissant immédiatement un ton sombre. Le Pays des Merveilles apparaît comme un lieu corrompu et menaçant, peuplé de marionnettes sinistres et d’objets animés par une force troublante. Le décor reflète cette vision sombre avec des espaces dégradés, où la poussière et la rouille dominent. En collaboration avec le directeur de la photographie Svatopluk Malý, Švankmajer crée une atmosphère oppressante, où chaque objet témoigne d’une décomposition omniprésente.
Le style distinctif de Švankmajer se manifeste par sa critique des normes sociales et bureaucratiques. Il utilise des matériaux variés de manière originale : viande crue, bois, clous, etc. Les objets quotidiens sont détournés de façon troublante : la sciure devient le sang du Lapin Blanc et un rat utilise les cheveux d’Alice pour alimenter un feu. Trois incarnations d’Alice sont montrées : l’actrice en chair et en os, une poupée rétrécie, et une version masquée. La froideur de l’Alice réelle contraste avec le monde bizarre, accentuant la mélancolie du film.
Švankmajer est également connu pour ses techniques d’animation en stop-motion, qui ajoutent une dimension supplémentaire à l’étrangeté du film. Cette méthode donne vie aux objets de manière saccadée, intensifiant le caractère onirique et perturbant de l’œuvre. Ses gros plans marquants, ses montages rapides et son utilisation audacieuse du son créent un humour et une parodie qui résonnent à l’échelle mondiale. Son œuvre se concentre sur les dilemmes humains individuels, mettant en avant des thèmes tels que les désirs, la colère, l’amour et l’avidité, tout en utilisant des principes artistiques qui privilégient la forme, la taille et la texture.
Un aspect notable de cette adaptation surréaliste est l’utilisation originale de matériaux familiers. Dans Alice, la sciure devient le sang du Lapin Blanc et un rat utilise les cheveux d’Alice pour alimenter un feu. Les trois incarnations d’Alice (l’actrice réelle, la poupée rétrécie, et la version masquée) se combinent pour renforcer la mélancolie et le contraste avec l’original de Carroll.
À un moment du film, Alice, devenue géante, semble fusionner avec une maison, anthropomorphisant la structure. Cette image pourrait symboliser la femme au foyer victorienne désillusionnée ou un fantasme troublant sur la fétichisation des enfants. Comme Carroll déforme le familier, Švankmajer interroge la stabilité et l’ordre des normes sociétales, suggérant que ces normes peuvent être plus perturbantes que le Pays des Merveilles. Les deux créateurs explorent des systèmes de règles alternatifs et surréalistes. La question clé posée par leurs œuvres est de savoir quelles règles sont établies et transgressées, et comment la paternité et les médias influencent la représentation de ces mondes absurdes.
En examinant Alice, nous découvrons deux récits parallèles : le voyage intérieur d’Alice et une réflexion sur l’adaptation cinématographique elle-même. Le film débute par une scène passive-agressive où Alice lance des pierres dans un ruisseau, puis passe à une autre histoire via un gros plan sur ses yeux. Cette transition est marquée par un plan sur les lèvres d’une fille s’adressant directement au public, accentuant la rupture entre la narration de Carroll et l’adaptation de Švankmajer.
La vision de Švankmajer, alliant hommage à l’œuvre originale et exploration de nouvelles dimensions, fait de Alice une adaptation mémorable et audacieuse. Le film utilise des techniques d’animation innovantes et des matériaux inattendus pour aborder des thèmes complexes liés à l’enfance, à la réalité et aux conventions sociales, offrant une vision perturbante et originale du monde d’Alice.