Affiche française
ALLELUIA | ALLELUIA | 2014
Affiche originale
ALLELUIA | ALLELUIA | 2014
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Musique de

Alleluia

Alleluia

Michel, un quadra un peu paumé, mais diablement séduisant assure sa subsistance en mettant la main sur les économies de femmes qui tombent sous son charme. C’est un prédateur. Au mieux, il les dépouille. Au pire, il les trucide et s’en va avec l’argent. Lorsque sa route croise celle de Gloria, c’est le choc. La flamboyante Ibère, qui a perdu ses marques au fil d’une existence triste, tombe raide dingue amoureuse de ce beau passant qu’elle ne va plus lâcher. Commence alors une incroyable odyssée sanglante où les deux amants qui se présentent comme une fratrie vont s’enfoncer dans la folie furieuse.

Mauvais cauchemar sans fin, croisement improbable et tordu entre "Massacre à la tronçonneuse", "Strip Tease" et "Fluide Glacial", "Calvaire" avait été une sacré surprise en son temps, révélant un auteur mordant, esthète dérangé et incommodant. Si "Vinyan" semblait être un détour (tout aussi marquant par ailleurs), c'était sans doute pour mieux retrouver les terres déjà foulées dans "Calvaire". L'histoire a beau déjà avoir été raconté plus d'une fois au cinéma, la verve de Welz se charge de remettre les pendules à l'heure.

Et cette histoire (vraie), c'est celle des "honeymoon killers" Raymond Fernandez et Martha Beck, qui avaient ensorcelé le cinéma de la fin des sixties avec une oeuvre rugueuse et cruelle qu'on devait à Leonard Kastle. À l'origine, il y avait ce fait divers sordide liant un escroc et une mère mal dans sa peau, qui arnaquaient les femmes seules pour ensuite les assassiner. Et pas toujours dans le bon ordre. En 96, Arthur Ripstein en offrait le versant mexicain et (très) romantique avec un Carmin Profond parfois hanté par le spectre de Bunuel. À sa manière, "Alleluia" semble réconcilier les deux approches en un chant malade et amoureux.

Chez Welz, on change d'époque et de noms : Gloria est une mère seule, plutôt timide, qui se voit pousser à prendre un rendez-vous galant par le biais d'un site de rencontre. Elle fait la connaissance de Michel, un vendeur de chaussures mûre et séduisant, qui lui redonne goût à la vie. Mais après avoir emprunté de l'argent, Michel disparaît et ne revient plus. Quand l'amante esseulée le retrouve, elle découvre qu'il séduit des femmes pour ensuite les dépouiller sous des prétextes fallacieux : elle ne démord pas et lui demande de l'assister dans sa tâche immorale. Mais le syndrome de l'amour va révéler une autre facette de Gloria...

Une poignée de chapitres regroupe toutes les victimes féminines du métrage, Gloria incluse : "Alléluia" est un conte poisseux et dégénéré comme l'était "Calvaire", prolongeant ce que Welz a nommé sa "trilogie des Ardennes". Dans cette banalité déconcertante tirant vers le grotesque, dans la bizarrerie assumée et l’apprêté, "Alleluia" retrouve la liberté et l'âme d'un certain cinéma européen (pour ne pas dire français) des seventies, celui dont on savourait les virages brutales, les maladresses et les vices.

Dévorées du début à la fin par une pellicule granuleuse et expressionniste, les deux têtes d'affiche y sont pour beaucoup dans l'entreprise, deux choix risqués alors, mais éloquents : Laurent Lucas d'abord (de plus en plus rare d'ailleurs), dont on avait oublié la nature inquiétante, ici pleinement explorée par Welz. À total contre emploi de son rôle de Tintin martyr dans "Calvaire", il brille dans les ténèbres, séducteur pervers au sourire de démon, sorcier du dimanche aux intentions impénétrables. De l'autre côté, la almodovardienne Lola Duenas, ogresse frustrée qui se consume d'amour et de jalousie, s'offre dans la folie la plus complète, tour à tour rayonnante et bouillonnante. Et on ne l'avait jamais vu comme ça.

D'une escapade d'amants criminels se voulant linéaire, Welz en tire une nouvelle vision déglinguée de l'amour (comme c'était le cas dans "Calvaire" et "Vinyan") mêlant frontalité et humour noir, toujours dans cette frontière entre le rire jaune et le malaise le plus total (les scènes de sexe pas piquées des vers), le tout traversé de choix inattendus allant d'une séquence de transe hallucinante et onirique, à l'irruption d'une scène musicale débouchant sur du gore craspec. Il y a un gout de la provocation (jamais gratuite) qui stimule et bouscule, toujours à deux doigts du rejet. Quelque chose de l'ordre de l’obscénité et de la fureur. Quelque chose qu'on croyait avoir perdu dans le cinéma de genre francophone : Alleluia ? Oui, Alleluia !

Note
5
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Jérémie Marchetti