Intacto

Intacto

Tomas, un jeune voleur, est l'unique survivant d'une catastrophe aérienne. Au sortir de sa convalescence, il est plus ou moins pris sous l'aile de Federico, un singulier personnage qui voit en Tomas un vecteur de chance inouï et l'emmène partout tester celle-ci dans différents endroits où l'on pratique des jeux de hasard et autres paris clandestins. Quand il le sent prêt, Federico, qui étant jeune a survécu à un tremblement de terre, l'emmène affronter Samuel, le "Dieu de la chance" en personne, dans son casino perdu en plein désert, afin de pouvoir se venger et laver l'affront d'avoir été autrefois déchu par celui-ci. Tomas sortira-t-il indemne de cette machination fomentée par Federico, d'autant que Sara, une femme policier ayant survécu, elle, à un terrible accident de voiture, est lancée à leurs trousses afin de démanteler un réseau de paris illégaux ?

INTACTO | INTACTO | 2003

Vous l'aurez compris, Intacto est un film sur la chance, ou tout du moins sur la faculté qu'ont certaines personnes de l'utiliser ou de se servir de celle des autres. Et les long-métrages sur le thème du destin et de la bonne fortune sont tellement rares ("La fille sur le pont" de Patrice Leconte étant l'un des derniers prédécesseurs en la matière), qu'il semble intéressant d'en parler dès qu'il y en a un qui pointe le bout de son nez, d'autant que celui-ci est d'excellente facture. Dans Intacto, les personnages principaux, ont tous, un jour, bénéficié d'une chance incroyable. Tomas vient en effet de survivre à un crash aérien effroyable, Sara est sortie indemne de l'accident de voiture qui a coûté la vie à toute sa famille, Federico a survécu à un séisme étant plus jeune et a été recueilli par Samuel, qui a tout simplement vécu l'Holocauste après avoir tout perdu. C'est d'ailleurs lorsque Federico décide de rompre leur association que Samuel le bannit de son casino et lui retire de fait, sa capacité à voler leur chance aux autres. C'est donc le point de départ de la vengeance méditée par Federico qui voit en Tomas l'instrument idéal de sa revanche sur le Maître des jeux, car il a peut-être plus de chance que lui…

L'idée de départ, parce que totalement novatrice dans le cinéma de genre, éveille directement notre curiosité : certaines personnes seraient dotées du pouvoir de voler la chance aux autres rien qu'en les touchant (un peu comme dans "Le témoin du mal" en sens inverse) ou en obtenant leur photo. Nos protagonistes vont alors se tester dans des jeux clandestins de hasard tous plus fous les uns que les autres. Les idées affluent donc, même si ces "jeux de chance" s'enchaînent un peu aléatoirement et servent d'entraînement à Tomas et Federico jusqu'à un final connu d'office : l'affrontement avec Samuel dans son casino situé au milieu de nulle part. Le pitch est donc proprement ahurissant et constitue l'attrait principal du film de Fresnadillo. Celui-ci peut également s'enorgueillir du fait de ne pas réutiliser des jeux et codes existants mais de recycler l'idée de chance et de hasard autour d'expériences pionnières, jamais pensées jusqu'alors (la scène de course dans les bois avec les yeux bandés vaut vraiment le coup d'œil !).

Ainsi, afin de préparer un script jusque-là jamais vu, Juan Carlos Fresnadillo et son équipe ont effectué d'intenses recherches, notamment sur l'œuvre de l'écrivain Primo Levi. L'auteur ayant lui-même survécu à l'Holocauste est revenu à plusieurs reprises sur son expérience des camps de la mort à travers de nombreux ouvrages comme "Si c'est un homme" traitant de la culpabilité du survivant au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Le cinéaste s'est d'ailleurs appuyé sur le travail de l'écrivain pour créer le personnage de Samuel. L'énorme culpabilité que celui-ci éprouve à détenir une chance imméritée (ce que l'on arrive très bien à deviner à la suite de flashbacks intelligents) est à la base de toute son existence et de son destin : Samuel est extrêmement chanceux, sa chance il l'a volée aux autres et il en abuse.

Mais le film est également né d'un souvenir de Fresnadillo. Le 27 mars 1977 un terrible accident aérien est survenu à l'aéroport de Santa Cruz de Tenerife, la ville natale du réalisateur aux Canaries : deux 747 se sont percutés faisant 578 victimes. Cette catastrophe a donc fait réfléchir le jeune Juan Carlos sur la nature du destin et de la chance. Vous l'aurez donc compris ici, c'est le thème de la survie qui est avant tout mis en avant dans ce film.

Notons également que le visuel contribue grandement au succès d'estime du métrage espagnol. Les décors sont en effet hyper bien choisis (que ce soit dans la cité urbaine ou bien dans le désert à l'aspect lunaire voire volcanique), le travail sur la lumière et la photographie a été soigné au millimètre près et donne au film une atmosphère quasi envoutante très particulière. A ce propos, la plupart des scènes "désertiques" ont été tournées dans les paysages arides qu'offrent les Iles Canaries, finalement l'endroit idéal pour l'apparition presque surnaturelle du casino haut en couleurs de Samuel, perdu au beau milieu de nulle part. Quant aux scènes de ville, certains auront pu reconnaître les différents quartiers de Madrid.

Autre fait d'armes à mettre au crédit du cinéaste espagnol, c'est sa capacité à garder le spectateur en haleine, à le captiver. Le film est scindé en deux parties bien distinctes. Dans la première, on découvre l'univers underground des jeux clandestins amené avec l'envie d'en savoir toujours plus puisque les jeux sont présentés successivement avec chacun une finalité différente. Quant à la deuxième partie du film, prenant lieu et place dans un casino éloigné de tout, on est toujours dans l'expectative, même si l'on sait qu'il va s'agir-là de l'affrontement final entre Tomas et Samuel, ex mentor de Federico. Mais cette partie du film n'en n'est pas moins intéressante que la première même si on sait où elle va se situer. Fresnadillo sait suffisamment brouiller les cartes pour nous faire penser à tel dénouement puis nous faire tergiverser cinq minutes après en nous balançant ça et là un autre indice. C'est vraiment la grande force du réalisateur issu des Canaries : sa faculté à nous embarquer dans une direction en nous y intéressant pour soudain prendre un virage à 180° et nous désarçonner totalement. Chapeau bas !

Mais Intacto ne serait rien sans ses acteurs. Tomas, notre jeune héros est parfait dans le rôle de "l'instrument vengeur" de Federico, ange déchu du "Dieu de la chance" incarné lui par un Max von Sydow ("Le septième sceau", "Conan le barbare", "Le bazaar de l'épouvante", "Flash Gordon") des grands jours et survivant absolu, qui a tout perdu sauf la vie pendant les pires heures de la Seconde Guerre mondiale. Il est théoriquement intouchable et dirige un palais de lumières perdu en plein désert aride, du moins jusqu'à l'arrivée de Sara, femme policier (excellente et touchante Monica Lopez) ayant perdu toute sa famille qui s'est jurée de découvrir la vérité sur les paris clandestins où se mêlent la mort et la chance. Preuve que le casting était de haut vol : Leonardo Sbaraglia (Tomas) et Eusebio Poncela (Federico) se sont vu décerner un Goya (équivalent espagnol de l'Oscar) chacun pour les catégories meilleur jeune acteur et meilleur acteur, ce qui est bien un sacré gage de qualité ça, non ?

Intacto suit alors le parcours initiatique désespéré de deux marginaux, embarqués pour une étrange série d'épreuves et de défis les opposant à leurs semblables. Leurs chemins croiseront alors celui de Sara, femme meurtrie par la vie et celui de Samuel, personnage énigmatique pour jouer au plus mortel des jeux. Pour un premier coup d'essai, le cinéaste ibérique s'est donc plutôt bien débrouillé : le sujet est original car il fourmille d'idées novatrices (dont on peut d'ailleurs retrouver des bribes dans l'excellent "13 Tzameti" de Géla Babluani), le film est également bien réalisé et servi par d'excellents interprètes, sans oublier les décors, qui sont sensationnels (notamment les regs et autres dunes désertiques) ce qui faisait alors de Fresnadillo un cinéaste à suivre. Ce qu'il confirmera plus tard en mettant en scène le très bon "28 semaines plus tard". Ce métrage est donc fortement conseillé !

INTACTO | INTACTO | 2003
INTACTO | INTACTO | 2003
INTACTO | INTACTO | 2003
Note
4
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Vincent Duménil