Frankenstein 1910
Frankenstein
Frankenstein, brillant élève, découvre le secret de la vie. Un jour, il décide de créer une créature parfaite. Mais le résultat n'est pas à la hauteur de ses espérances, la créature ayant un physique monstrueux…
Bon. On va reprendre notre sérieux ici. Ben oui, on va quand même parler de la toute première adaptation du roman de Mary Shelley pour le cinéma. Ce n'est pas rien et ça mérite tout notre respect. Evidemment, quand on parle de Frankenstein, c'est d'emblée la vision de Boris Karloff qui vient à l'esprit. Normal puisque les trois films où il incarne la créature, et en particulier les deux réalisés par James Whale, font partie des trésors du cinéma fantastique. Impossible de rester insensible au "frankenstein" de 31 et à sa somptueuse suite "la fiancee de frankenstein" de 1935. Mais Karloff ne fut pas le premier. Trois autres adaptations lui sont antérieures. "Life without soul" en 1915, "il mostro di Frankenstein" en 1920 et ce "Frankenstein" en 1910.
Tout comme le Dracula de Bram Stoker, le Frankenstein de Mary Shelley a très vite intéressé les réalisateurs de film. C'est donc en 1910 que va voir le jour la toute première représentation en image de ce mythe éternel. Produite par l'Edison Company, société du célèbre Thomas Edison, et réalisée par J. Searle Dawley, cette adaptation prend pas mal de liberté avec le roman de Shelley. Normal me direz-vous, l'immense richesse de cette œuvre littéraire ne pouvant être retranscrite dans un film de 12 minutes et 40 secondes.
L'interprétation d'Augustus Phillips, jouant le rôle du Frankenstein, est assez théâtrale. Le film lui-même d'ailleurs fait très pièce de théâtre filmée. Notre savant sautille, gesticule, court dans tous les sens, comme bien souvent dans les films muets datant de cette période. Nous le voyons au tout début quitter son domicile, délaissant momentanément sa fiancée Elizabeth, pour aller rejoindre sa faculté où il découvrira le secret de la vie et de la mort. Désirant créer un être vivant, il se livre donc à ses expériences diaboliques.
La genèse de la créature s'apparente ici plus à de la sorcellerie, à de l'alchimie, qu'à la construction d'un corps à partir d'éléments de cadavres, Frankenstein jetant toutes sortes de choses dans une espèce de grande marmite bouillonnante, telles les sorcières des contes pour enfants. La scène où la créature fait son apparition dans la marmite, dans des images aux couleurs sépia du plus bel effet, peut prêter à sourire. Rappelons quand même que cette réalisation a 96 ans au moment où j'écris ces lignes ! Tout le monde a bien compris qu'on assiste à une séquence filmée à l'endroit (la créature fond dans la marmite) mais diffusée à l'envers (la peau recouvre la créature qui prend sa forme définitive). Un procédé classique mais j'imagine la complexité de la chose en 1910, le cinéma n'ayant que 15 ans de vie. Certes, un magicien de l'image comme George Méliès avait déjà expérimenté pas mal de techniques pour obtenir des effets spéciaux, mais quand même….
Le look de la créature n'est pas vraiment identique à la vision que nous renverra Karloff en 31. On est ici plus dans un personnage ressemblant au Quasimodo incarné par Lon Chaney dans le "Notre Dame de Paris" de 1923. Cheveu ébouriffé, corps un peu bossu et visage monstrueux, c'est l'acteur Charles Ogle qui a donc eu l'immense privilège d'être la première créature du docteur Frankenstein vue sur un écran de cinéma. D'ailleurs, lorsqu'on évoquait ce film dans les magazines, longtemps considéré comme perdu, on mettait toujours la même photo de Ogle maquillé en créature, comme dans le livre "ze craignos monsters" de Jean-Pierre Putters par exemple.
La suite reprend quelques éléments du roman (la créature poursuivant son créateur chez lui) mais le final s'en écarte totalement. Point de combat dans les glaces ici. Non, la disparition du monstre est plus de l'ordre du fantastique, puisque, se rendant compte de l'amour qui lie Frankenstein à sa fiancée, il disparaît comme par enchantement. A noter de belles séquences avec la présence du miroir, très poétique.
Le film de J. Searle Dawley est donc un testament unique, une œuvre que tout fan de cinéma fantastique se doit de voir. Malgré ses défauts, on se rend bien compte que le réalisateur voulait terrifier les spectateurs, avec ses moyens. J'aurai bien aimé voir la réaction des gens de l'époque. Un joli voyage à travers le temps, une remontée aux sources du fantastique, voici ce que nous propose ce Frankenstein. Il serait dommage de passer outre…