Un titre énigmatique, des premiers visuels sous forme de dessins type « Contes de la Crypte », une affiche tendant vers le « survival » avec une Anne Marivin en souffrance, des influences comme "Stand By me" ou "La Colline a des yeux" et une rumeur d’interdiction aux moins de 18 ans. Voici des éléments, fournis au fur et à mesure de la production du film, qui intriguent et qui ne permettent pas clairement de savoir à quoi s’attendre avant la projection du film. On peut avoir du mal à croire qu’un film d’une heure et demi puisse se nourrir de tant d’influences et les « recracher » avec cohérence si l’on ne connaît pas le duo de réalisateurs Julien Maury et Alexandre Bustillo. Car oui, toutes ces informations ne sont pas uniquement promotionnelles puisque "Aux yeux des vivants" intègre réellement différents genres (de la chronique adolescente au slasher/survival en passant par l’épouvante) dans des parties bien distinctes.
Dès le départ, les réalisateurs ne laissent pas planer longtemps le doute sur le côté « sauvage » du film. A travers ce qu’on pourrait grossièrement qualifier de version « inversée » et dégénérée de la scène d’introduction du « Halloween » de Carpenter, Maury et Bustillo intègrent des idées déjà aperçues dans leurs précédents métrages (la fête d’Halloween, la femme enceinte…) et une violence frontale perturbante afin de mettre en place les personnages de « méchants » (Klarence et son père) et expliquer leur background de façon simple mais précise. Des premières minutes, shootées avec style, qui donnent le ton ! Passé l’écran titre, nous faisons la découverte des trois adolescents par qui le malheur va arriver et on entre ainsi dans la chronique adolescente à la « Stand by me ». Une partie vraiment plaisante de par la fraîcheur du traitement et de par la nostalgie qui s’en dégage. Les moments de l’adolescence sont finement captés et magnifiés par des paysages bucoliques à couper le souffle. La photographie et le format de l’image choisie permettent de pouvoir admirer les panoramas et de ressentir la chaleur de cet été qui va vite tourner au cauchemar après que les trois jeunes garçons se soient rendus dans les anciens studios de cinéma de « BlackWoods » où ils vont tomber sur Klarence et son père, deux êtres étranges peu enclins à laisser s’échapper nos jeunes héros surtout après que ces derniers aient vu leurs secrets. Klarence, d’ailleurs, dont l’apparence physique ne sera dévoilée que petit à petit au fur et à mesure du film, laissant le temps au spectateur de sentir l’angoisse monter. Bien sûr, le procédé est connu mais il fonctionne parfaitement ici grâce à de bonnes astuces de mise en scène.
Après cela, le film bascule vers un style « slasher » plus conventionnel. On regrette d’ailleurs que l’histoire ne continue pas dans les superbes décors de « Blackwoods » et qu’elle se déroule ensuite aux domiciles des jeunes gens dans lesquels Klarence va venir les traquer. Une déception vite mise de côté dès les premiers rebondissements en ces nouveaux lieux. Afin d’éviter de trop vous spoiler, passons sur les détails de l’histoire et concentrons-nous sur l’approche du genre par les réalisateurs. En effet, Maury et Bustillo, afin de continuer à maintenir la cohérence du projet ont décidé de jouer avec nos peurs enfantines. Ainsi, la peur du noir, des clowns ou du monstre caché sous le lit seront des leviers (parmi tant d’autres) utilisés par les réalisateurs pour faire monter la pression et prévenir de l’arrivée de la menace. Même si les ficelles pourraient paraître éculées (le coup de la chatière) ou déjà vues (le passage du clown rappelle un des segments du film à sketch « Amusement »), ses moments font monter la pression et leur réussite tient justement au traitement choisi par Maury et Bustillo. A l’instar de James Wan avec « The Conjuring », dans « Aux yeux des vivants », les terreurs nocturnes ou les légendes urbaines (celle de la babysitter notamment) ne sont pas utilisées par facilité scénaristique mais pour une réappropriation totale et même pour une sorte d’hommage au cinéma d’épouvante et à toutes ces histoires qu’on a pu entendre étant gamin et qui nous terrorisaient. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si un des jeunes héros du film lit une bande dessinée intitulée « Bedtime Stories » rappelant furieusement les « Tales from the crypt » qui regroupaient de courtes histoires souvent horribles et cruelles.
Le film alterne ces moments de pure épouvante avec des passages gore, d’une grande violence graphique et aux effets spéciaux réussis. Bon, honnêtement pas de quoi demander une interdiction aux moins de 18 ans mais il y a quand même quelques mises à mort bien corsées ! Les apparitions du «méchant » sont toujours stressantes et son style à la fois souple et brutal en fait un prédateur redoutable. On pourra reprocher au métrage des incohérences inhérentes au genre comme par exemple le fait que certains personnages s’écroulent facilement alors que d’autres encaissent au-delà du possible ainsi qu’une gestion du temps pas toujours très crédible mais hormis cela, le tout tient la route et fait preuve d’une grande efficacité notamment grâce la mise en scène mais aussi grâce à l’excellente musique et au jeu des acteurs. Le final, porté par Anne Marivin, Theo Fernandez, Francis Renaud et Fabien Jegoudez est d’excellente facture. Utilisant en sa faveur les clichés (l’humanité des « méchants ») ou en les détournant (le moment où le personnage d’Anne Marivin braque Klarence et son père), la conclusion est aussi réussie que peu joyeuse et surtout pas du tout cynique.
Comme pour leurs deux précédents métrages (« A l’intérieur » et « Livide »), Maury et Bustillo ont réussi à créer un univers passionnant et cohérent dans lequel ils ont intégré de bien belle manière certaines idées d’œuvres qu’ils ont aimées afin de se les réapproprier. Les détracteurs du duo pourront (une nouvelle fois) leur reprocher le côté schizophrène de l’entreprise et le mélange des genres pas toujours homogène mais au-delà de ça, « Aux yeux des vivants » est une très belle œuvre, autant plastique que scénaristique et une superbe déclaration d’amour aux films d’épouvante et aux productions Amblin des 80’s. Entre les paysages et décors magnifiques de la première partie, l’habilité du suspense de la seconde et une réalisation globale de haut standing, difficile de bouder son plaisir devant une œuvre si techniquement aboutie, gore, jouissive, flippante et surtout, si généreuse.
Un mélange des genres qui aurait pu être une vraie réussite avec un trio de gamins plus convaincants (pas nécessairement à cause de l'interprétation, d'ailleurs) et en évitant l'éternelle tendance à la citation et aux ficelles du duo Maury / Bustillo. Dommage, parce qu'il y a quelques vrais bons moments et une sacrée générosité la plupart du temps...
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