Une merveille évidemment.
Elephant man
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Londres, 1884. Un cirque victorien propose pour quelques piécettes de voir un être difforme et si effrayant qu’il est devenu au fil des années l’une des vedettes du cirque. Cet homme, c’est John Merrick, plus connu sous le nom de « Elephant Man » en raison de ses hideuses difformités corporelles et faciales générées suite à un terrible accident que sa mère a eu, renversée par un éléphant alors qu’elle était enceinte.
Afin de le délivrer de cet environnement hostile et de cette misérable vie de bête de cirque, le chirurgien Frederick Treves décide de le faire séjourner dans son hôpital. Essayant de lui apporter une vie respectable et confortable, Frederick Treves va se heurter à diverses personnes bien décidées à faire de John Merrick et son facies si repoussant et peu commun leur gagne-pain.
"Elephant man". Voilà sans conteste l’un des plus grands classiques du cinéma fantastique. Intemporel (bien que ce dernier se passe lors de révolution industrielle en Angleterre), ce film de 1980 signé David Lynch (à qui l’on doit à ce moment le fameux "eraserhead" puis plus tard "dune", "mulholland drive", "Sailor et Lula" ou encore "twin peaks – fire walk with me") n’a pas perdu de son impact et demeure encore à ce jour l’une des plus grandes œuvres dramatiques réalisées.
Emouvant et poignant de bout en bout, ce film s’inspire de la vie d’un jeune britannique du nom de Joseph (et non John) Merrick, en proie à une terrible maladie affectant la peau, les tissus et les os : une maladie plus connue sous le nom de « syndrome de Protée ». Des écrits du chirurgien Treves, qui s’occupa de son malheureux patient durant de longues années, naquit le scénario du film "elephant man" qui fut proposé à un certain David Lynch, après que Mel Brooks, alors producteur du film, ait constaté l’indéniable potentiel de notre homme suite à la projection de "eraserhead", son premier long-métrage.
Grand Prix au festival du film fantastique d’Avoriaz en 1981, César du meilleur film étranger en 1982, huit nominations aux Oscars (film, mise en scène, décor, musique, costumes, montage, scénario et interprète masculin pour John Hurt qui joue le rôle d’Elephan Man) et quatre nominations aux Golden Globes (mise en scène, drame, scénario et acteur masculin une fois de plus pour John Hurt) : tant de reconnaissances pour ce film! Même si ce dernier n’a obtenu aucune récompense aux Oscars ou aux Golden Globes (le film ayant alors raflé de nombreuses récompenses étant "des gens comme les autres" de Robert Redford), il n’en est pas moins une réussite.
Animé d’un esprit humaniste, le film de David Lynch est, comme le qualifient de nombreux médias à juste titre, un véritable plaidoyer pour la tolérance. A l’image d’un certain "freaks - la monstrueuse parade" de Tod Browning, "elephant man" nous plonge dans le monde de ce que nous pourrions appeler la « foire aux monstres ». En nous montrant des séquences cruelles où de malheureux êtres humains sont, au sein de ces petits cirques itinérants, la proie de ricanements, de cris de peur ou encore de gestes de dégoût, David Lynch dénonce cette mise en vitrine de ces personnes aux caractéristiques si peu communes. Une dénonciation de ces pratiques réduisant des êtres humains à l’état d’attractions de foire qui se manifeste dès le début du film avec la présence de certains citadins et policiers qui investissent les lieux pour montrer leur mécontentement vis-à-vis de cet étalage de cruautés à la vue des yeux les plus sensibles. Un message que David Lynch ne cessera de nous faire passer tout au long de son œuvre, par le biais de personnages sans scrupule animés par cet appât du gain, voyant en John Merrick un gagne-pain tombé du ciel, ou encore en nous confrontant à des réactions de gens ordinaires, effrayés et parfois méchants.
Mais on se rendra rapidement compte lors du visionnage de "elephant man" que le monstre n’est pas forcément toujours celui qu’on croit. Et bien que notre malheureux John Merrick n’ait pas un physique des plus communs et semble rongé par une terrible maladie le rendant hideux et incapable d’assurer la fonction moteur de tous ses membres, lui donnant alors une allure et une démarche de pantin articulé, il n’en reste pas moins un homme, un être humain ne demandant qu’à vivre comme les autres et non en cage comme un animal (d’où la réplique culte du personnage de John Merrick : « Je ne suis pas un animal, je suis un être humain ! »). Un animal, ou disons plutôt une bête de foire, que l’on montre à tours de bras à des foules de gens curieux, tantôt moqueurs, tantôt méchants, mais toujours plus ou moins effrayés par ce qui est différent.
Une image de bête de foire que le chirurgien Frederick Treves essaye en vain de faire oublier à son patient qu’il protège comme il peut, tout d’abord en l’arrachant des griffes de son cruel et perfide « propriétaire », puis en lui faisant découvrir un monde meilleur, le monde de la haute aristocratie, où John Merrick commence enfin à profiter de la vie en communauté, à avoir des amis, bref à oublier cette misérable existence et ce cruel avenir que lui réservait pourtant ce vieil homme dans sa foire aux monstres.
D’un être meurtri, battu par un homme souvent ivre le montrant en spectacle pour quelques piécettes, humilié dès son plus jeune âge et surtout innocent, on nous dévoile progressivement quelqu’un de très sensible, intelligent, bien loin de l’idiot congénital que pensait avoir secouru Frederick Treves, notre bienfaiteur qui toutefois se pose la question si lui aussi n’aurait pas également exposé d’une certaine façon son protégé à la foule (mais à quels fins? La célébrité?). Des questions que le personnage brillamment interprété par Anthony Hopkins ("Audrey Rose", "le silence des agneaux", "dracula (1992)", "Nixon", "la faille", "le rite", "wolfman"…) se pose, d’autant plus que ce dernier se rend compte que le fait d’avoir exposé en quelques sortes son patient a également attiré de vils profiteurs, à commencer par son ancien « propriétaire » désireux de se le ré-accaparer puis un gardien de nuit qui organise des visites clandestines payantes.
Une situation d’autant plus dramatique et triste que l’on se rend compte que notre malheureux John Merrick ne sera jamais totalement intégré à cause de cette bêtise humaine présente dans tous les échelons de la société et rien n’y changera malgré les efforts de Frederick Treves. Un destin cruel et auquel ne pourra échapper John Merrick.
David Lynch utilise d’ailleurs de nombreux procédés pour mettre en place cette ambiance mélancolique et triste sonnant comme une dure fatalité pour notre malheureux John Merrick.
A commencer par cette volonté de tourner le film en noir et blanc, renforçant alors ce côté dramatique. Doté d’une magnifique photographie (on retiendra ce superbe plan notamment sur Frederick Treves alors qu’il vient de voir pour la première fois John Merrick), bénéficiant par ailleurs de cadrages toujours bien choisis, "elephant man" fait l’objet de remarquables prouesses techniques. A tel point qu’il serait aujourd’hui difficile d’imaginer ce film en couleurs, tellement l’impact du noir et blanc est important pour donner cette atmosphère sombre, lourde, pleine de tristesse et de mélancolie permettant par ailleurs cette sensation de malaise et d’impuissance que l’on ressent pour John Merrick, indispensable pour faire passer ce message sur l’intolérance et l’indifférence de l’espèce humaine (ce que j’ai qualifié par ailleurs plus haut de « bêtise humaine »).
A cela s’ajoute une musique sublime, collant parfaitement à cet aspect dramatique de part sa lenteur et ses sonorités envoutantes, en témoigne notamment le fameux adagio pour cordes de Samuel Barber, utilisé également dans le "platoon" d’Oliver Stone.
Emouvant et particulièrement efficace de part son réalisme et ce côté très humain dans sa mise en scène, "elephant man" est tout bonnement un chef d’œuvre. Doté d’un casting de très bonne facture et d’une mise en scène remarquable, le film de David Lynch demeure encore aujourd’hui un film poignant et ne semble pas prendre de rides au fil des années.
Un grand moment de cinéma.
Une merveille évidemment.
Chef-d'oeuvre absolu qui pourrait même nous arracher quelques larmichettes !
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