May
May
Enfant, la petite May a bien du mal à se faire des amis dans la cour de récréation. Atteinte d'un strabisme qui la rend différente aux yeux de ses camarades de classe et naturellement timide auprès des gens qu'elle ne connait pas, c'est seule qu'elle passe la majeure partie de son enfance. Un beau jour, sa mère, voyant que sa fille se renferme dans sa solitude, lui offre une poupée qui lui appartenait étant jeune et lui dit : "si tu n'arrives pas à te faire d'amis, fabrique t'en un".
Les années ont passées, May est devenu une jeune femme et travaille dans un cabinet vétérinaire, non loin de son petit appartement où elle vit seule. Mais ce petit bout de femme est toujours aussi timide auprès des gens et complexée envers son petit défaut oculaire : son seul véritable ami demeure cette poupée offerte par sa mère alors qu'elle était enfant. Or, May aimerait être aimée, aimée par quelqu'un de chair et de sang, par quelqu'un qui accepterait sa personnalité qu'elle-même trouve étrange… Commence alors un flirt avec un jeune mécanicien, Adam, avec qui la déception amoureuse va être de taille. Puis ce sera Polly, sa collègue de travail, qui lui fera les yeux doux avant que celle-ci ne trouve une autre femme bien plus jolie et plus farouche que May… Déçue, déstabilisée, le cœur brisé, la jeune femme va alors décider de suivre le conseil que sa mère lui a donné étant jeune, le jour de son anniversaire : "si tu n'arrives pas à te faire d'amis, fabrique t'en un".
Lucky McKee ("the woods", "Red"…), jeune réalisateur en herbe, décide de se lancer dans l'aventure cinématographique et réalise en 2002 son premier long-métrage "May" dont il est également le scénariste. Un film dont le début et l'idée de base pourraient presque être assimilés à une autobiographie tellement Lucky s'est inspiré d'éléments de son enfance afin de créer le personnage de May. En effet, étant jeune, Lucky était très solitaire et passait le plus clair de son temps à jouer tout seul, au fin fond de sa campagne natale, atteint d'un léger strabisme qui l'écartait un peu plus de ses petits camarades.
Mais quel est donc ce film dont peu de gens parlent mais qui semble être aimé par la majorité des amateurs de films de genre? Pour en savoir un peu plus, je vous invite une fois de plus à me suivre dans cette petite analyse en détails du film de Lucky McKee.
C'est la tête pleine d'idées et de pensées macabres et insolites que notre jeune réalisateur met sur pellicule son premier long-métrage "May", un film qui a réussi à se faire sans aucun mal une petite place au sein des meilleurs films de genre de ce début de siècle, malgré une timide médiatisation. Tantôt touchant, tantôt bouleversant et effrayant, "May" est tout simplement une perle, un long-métrage saisissant du début à la fin et qui ne relâche le spectateur qu'au moment du générique de fin.
En effet, bien que le film ne soit en rien mouvementé dans sa première partie, Lucky parvient à nous maintenir en haleine en nous racontant l'histoire d'une jeune femme dont l'attitude est des plus étranges et qui va être fragilisée par des déceptions amoureuses. On suit donc le quotidien de notre chère assistante vétérinaire durant la première partie du film : on visite son appartement décoré par ses soins, on découvre son univers de travail (un cabinet de vétérinaire), ses loisirs (principalement la couture : c'est elle-même qui fabrique ses vêtements)… Cette première partie réussit à envouter le spectateur là où d'autres réalisateurs auraient peut-être loupé leur coup : malgré le peu de dialogue et un manque d'action agrémenté d'un rythme très lent, on suit avec énormément de plaisir le quotidien de May, tantôt triste, tantôt joyeux, mais souvent bien étrange et énigmatique, ce qui n'échappe pas au spectateur…
Puis May tombe nez-à-nez avec un beau jeune homme et c'est le coup de foudre. Adam est mécanicien et seul dans la vie. Après une rencontre des plus farfelues, nos deux tourtereaux vont se lier d'amitié puis devenir amants le temps de quelques flirts avant qu'Adam ne soit trop perturbé par le comportement de May, étrange et vraiment inquiétant. Ce moment marque le début de la seconde partie du film : une partie bien plus sombre que la première qui nous entraîne dans la folie et la dépression de May suite au départ d'Adam. Elle va toutefois tenter de se consoler auprès de Polly, sa collègue de travail qui ne lui cache pas son homosexualité et va, le temps d'un flirt, initier la fragile et déstabilisée May à la bisexualité. Mais cet amour va n'être que passager, saccagé par l'arrivée d'une belle blonde dont Polly est littéralement dingue. May va alors s'attacher à une association venant en aide aux jeunes aveugles mais les choses ne se passent pas comme elle l'espérait : alors qu'elle désirait montrer aux enfants la poupée que lui avait offerte sa mère, celle-ci se retrouve saccagée. Sa seule amie vient d'être détruite… Et c'est le drame : Lucky McKee nous dépeint alors May comme une hystérique, une jeune femme seule qui se renferme dans une schizophrénie aigue, le cœur brisée par tant de désillusions. Un rythme qui va crescendo dans cette deuxième partie de film avec la montée en flèche de cette démence jusqu'au point de non-retour (mais chut, je n'en dis pas plus et te laisse découvrir, toi qui n'a pas encore eu la chance de voir ce film insolite, les 25 dernières minutes par toi-même).
Ce que l'on apprécie dans le long-métrage de Lucky McKee, c'est cette simplicité et en même temps ce réalisme qu'il utilise afin de nous faire vivre la descente en enfer de notre jeune May. Contrairement à ce que l'on pourrait penser aux premiers abords, cette montée de la folie ne s'est pas faite d'un coup : c'est le fruit de longues années de solitude et d'appels de détresse sans réponse, c'est le fruit d'un amour impossible à cause de ce comportement inquiétant dont elle n'arrive pas à se défaire depuis son enfance et qui va vite se transformer en une schizophrénie pathologique. Toute cette démence arrivait à être contenue dans son être sans jamais réussir à parvenir à son apogée. Seulement voilà, deux énormes déceptions amoureuses coup sur coup vont être l'élément déclencheur de cette folie, jusque-là assez peu présente dans le quotidien de May (même si au départ la jeune femme était déjà très étrange, aspect que l'on peut mettre sur le compte de la timidité et de ces longues années de solitude) mais qui va à présent réussir à sortir de l'ombre et à s'accaparer de l'esprit de la jeune fille, torturée et brisée par les échecs amoureux qu'elle endure… Une montée dans la folie rarement aussi bien transcrite sur pellicule et qui perturbe et inquiète de plus en plus le spectateur au fil des minutes qui s'enchaînent à une cadence soudain devenue plus rythmée et énergique que ce que Lucky nous laissait paraitre lors de la première partie de son film. Du grand art!
Mais que serait le film sans ses acteurs? Et là encore, on reste subjugué devant ce casting tout simplement impeccable et parfaitement ancré dans cette histoire mouvementée où le moindre personnage mal interprété aurait pu gâcher ce long-métrage qui joue essentiellement la carte de la psychologie et plus particulièrement la démence, la schizophrénie, le mal-être, la solitude. "May" a certainement dû être un film très difficile à réaliser, les acteurs devant jouer sans fausse note le moindre sentiment d'amour, de haine ou encore d'anxiété afin de réussir à plonger le spectateur dans ce réalisme incroyable qui l'enivre du début à la fin.
Pour se faire, le rôle de May a été donné à Angela Bettis ("une vie volée", "l'élue", "the toolbox murders", "the circle"…), visiblement une habituée des rôles de personnages perturbés (elle a joué le rôle de Carrie dans un téléfilm ainsi que le rôle d'une adolescente psychotique dans le film "une vie volée"). Un rôle qui lui va comme un gant : Angela réussit le pari de passer par tous les sentiments (amour, haine, vengeance, anxiété, peur, désarroi…) et nous livre une interprétation qui fera date dans la liste des personnages déments comme Norman Bates ("psycho"), Carrie ou encore Jack Torrance ("the shining"). Pour l'accompagner, on retrouve entre autres l'acteur Jeremy Sisto ("lame de fond", "détour mortel", "population 436", "7 ans de séduction"...) dans le rôle d'Adam, jeune mécanicien cinéaste amateur qui voue une petite passion à tout ce qui est morbide On retrouve également avec beaucoup de plaisir l'actrice Anna Faris (la saga des "scary movie", "une nana au poil", "lost in translation", "ma super ex"…) que l'on retrouve une fois de plus dans un rôle de nunuche au doux nom de Polly, jeune et belle secrétaire du vétérinaire chez qui travaille également May et qui fera tout pour la faire succomber à son charme dévastateur (une très très sexy Anna Faris que nous montre là Lucky McKee!). Un casting pouvant s'avérer simple (pas de grosses stars hollywoodiennes à l'horizon) mais qui est terriblement efficace (et c'est peut-être dû justement au fait que les acteurs soient au final pas encore énormément connus que l'on accepte volontiers ce petit voyage réaliste au cœur de la démence).
D'un point de vue visuel, on ne peut là encore pas reprocher grand-chose à notre talentueux réalisateur en herbe. Les plans sont plus que convenables et les scènes de folie dans le petit appartement en pagaille de May rendent très bien à l'écran. Les quelques scènes de meurtres ne sont pas les plus sanglantes que l'on ait vues au cinéma mais on s'en moque éperdument : ce que l'on recherche dans ce film, c'est ce sentiment d'effroi, d'inquiétude et de contemplation d'une telle démence et non une quelconque boucherie sanguinolente. Les meurtres sont en effet très expéditifs et ne génèrent que très peu d'hémoglobine mais ce qui est intéressant de remarquer, c'est le réalisme dingue de ces scènes : pas de cris longs, stridents et très slasher teens movies, juste des regards surpris, des mouvements de recul de derniers recours… Les victimes n'ont pas le temps de comprendre ce qui leur arrive, ne prennent pas le temps de se défendre, subjuguées par le coup de couteau qu'elles viennent de se prendre par surprise alors qu'elles voyaient May comme une douce idiote inoffensive qui vit dans son monde à elle…
La scène la plus marquante du film reste certainement la scène finale du film où May se retrouve devant sa glace et… ("Chut qu'on t'a dit!" - "Bon d'accord, je ne fais pas de spoiler et laisse les gens découvrir le fin mot de l'histoire!").
Pour ce qui est de la bande-originale du film, là encore nous sommes face à l'une des pièces maîtresse du film : tantôt rock, tantôt classique, tantôt berceuse, la musique est entièrement en adéquation avec les différentes phases d'évolution de la démence de May. Chaque musique apporte son plus indéniable à l'ambiance du long-métrage de Lucky McKee. Et que dire de la musique des génériques : brillante!
Au final, "May" est tout simplement un chef-d'œuvre, un tour de force d'un réalisateur en herbe, Lucky McKee, qui nous livre ici l'un des meilleurs films de genre de ce début de siècle. Simple mais terriblement efficace, doté d'excellents acteurs et d'une construction scénaristique sous forme d'évolution où la démence va crescendo (comme le puissant "Bug" de William Friedkin, à côté duquel je range volontiers "May" au sein de ma dvdthèque), le film de Lucky McKee est un film inquiétant et fascinant à la fois. Très réaliste, souvent perturbant, parfois brutal mais jamais grossier, "May" est un film surprenant à voir et à posséder si vous êtes passionné de films de genre! Un bijou!