Surveillance
Surveillance
Deux agents du FBI se rendent dans une petite ville perdue pour interroger trois témoins victimes de l’attaque de serial-killers ayant déjà fait de nombreuses victimes. Pendant l’interrogatoire, le policier, la junkie et la petite fille, filmés par des caméras, donnent leur version de l’histoire. Aux agents de démêler le vrai du faux…
Jennifer Lynch. Un nom plutôt dur à porter, surtout quand on est la fille du grand David Lynch. Mais avoir David Lynch pour papa permet aussi à la jeune fille de faire ses premiers pas dans le domaine du cinéma de façon assez simple, puisqu’à trois ans, elle fait une petite apparition dans "Eraserhead" (dont le tournage débuta en 72) avant de devenir assistante de direction sur "Blue Velvet" en 86. Bientôt, l’univers déjanté de son père va faire partie intégrante d’elle-même. Elle écrit un roman basé sur l’univers de la série Twin Peaks (le journal de Laura Palmer) puis on la retrouve derrière la caméra en 93 pour "Boxing Helena", dont le scénario n’aurait pas déplu à David Lynch, avec cet homme amoureux fou d’une jeune femme au nom d’Helena, qui n’hésitera pas à la démembrer et à la maintenir en vie dans une boîte pour se l’accaparer à lui seul. Malheureusement, l’échec cuisant du film, autant artistique que critique, fera que Jennifer Lynch ne réalisera plus rien avant de revenir sur le devant de la scène en 2008 avec "Surveillance" justement.
Pour "Surveillance", les intentions de la réalisatrice sont clairement exprimées par elle-même : raconter son histoire du point de vue de différents personnages, tout comme dans le "Rashômon" d’Akira Kurosawa. Pour Jennifer, "la notion de point de vue est une chose qui me fascine. Nous avons notre propre façon de voir le monde, et la perception d’un même événement peut donc être très différente d’une personne à une autre."
Le film va donc nous présenter un événement tragique (plusieurs meurtres commis par des tueurs fous au bord d’une route) du point de vue des trois survivants du carnage. Plus que ça même, puisque les trois témoins vont nous raconter leur journée avant ce déferlement de violence. Les deux agents du FBI ont isolé chaque témoin dans une pièce et ont installé un système de caméra vidéo pour pouvoir filmer chacun d’entre eux mais aussi avoir une vue d’ensemble pour démêler cette délicate affaire.
On se retrouve donc avec cinq personnages principaux. Nos deux agents du FBI sont incarnés par Bill Pullman et Julia Ormond. Deux acteurs habitués aux univers étranges puisqu’ils ont respectivement joués dans "Lost Highway" et "Inland Empire" de…David Lynch bien sûr ! Ils incarnent ici un duo d’agents un peu moins glamour que Fox Mulder et Dana Scully de la série "X -Files" mais leur méthode nous réservera bien des surprises.
En ce qui concerne les trois témoins, qui vont rapidement devenir les éléments principaux du film, puisque l’histoire est vécue à travers leurs yeux (mais aussi à travers ce que filme la caméra), on trouve un flic bien barré, une jolie junkie sympa et une petite fille vierge de toute violence, dont l’innocence lui permettra de découvrir un terrifiant secret, en mêlant justement image vécue et image filmée. Des secrets, il y en a beaucoup dans "Surveillance". Allusions, non-dits, tous les personnages ont quelque chose à cacher et c’est avec beaucoup d’humour (très noir) que la réalisatrice va nous les faire découvrir.
Au travers des interrogatoires, Jennifer Lynch nous brosse le portrait de personnages pittoresques et nous rappelle que les coins paumés recèlent de bien étranges énergumènes, comme ce policier, rescapé du massacre, et qui, sous son apparente respectabilité due à sa fonction, va se révéler sous un jour bien différent, avouant qu’avec son collègue, il n’hésite pas à tirer sur les roues de voitures des pauvres touristes pour ensuite aller "s’amuser" avec eux de façon assez particulière, je vous laisse la surprise. On n’est pas loin de l’imagerie des "redneck movies", sous-genre vers lequel lorgne "Surveillance", avec ses grands paysages désertiques, son soleil donnant une impression de chaleur accablante, ses personnages un brin exubérants et ses tueurs masqués.
Les séquences de reconstitution s’enchaînent avec dynamisme et certaines valent leur pesant de cacahuètes. La scène clé du film, à savoir le massacre perpétré par les tueurs, est franchement très efficace et très habilement mise en scène. Bien malin qui pourra prédire le final du film, même si certains éléments peuvent nous mettre sur la voie. Un final qui fait basculer le film dans une toute autre orientation, et qui permet à certains personnages de se laisser aller totalement et de littéralement "péter les plombs" devant la caméra, surjouant et cabotinant pour le plus grand plaisir des spectateurs. Certes, au final, la morale de l’histoire n’est pas vraiment sauve, et même David Lynch a mis en garde sa fille sur ce point, lui disant que ce n’était pas possible que le film se termine comme ça. Pour ne pas le contrarier, Jennifer Lynch a tourné une fin alternative, bien plus "respectable", mais elle a bien évidemment inséré la première fin dans son montage, car "c’était la meilleure fin possible pour cette histoire". On lui donnera tout à fait raison.
Difficile d’en dire plus sur "Surveillance" sans en dévoiler les tenants et rouages. Le mieux est de visionner le film, qui se révèle être un thriller divertissant, intelligent et qui vous réservera de bonnes surprises. Après un long arrêt de carrière, Jennifer Lynch revient sur le devant de la scène cinématographique avec panache et même si son film n’atteint pas les sommets des œuvres de son père, elle peut néanmoins être fière de son second long-métrage, qui laisse entrevoir un avenir plutôt prometteur quand à son métier de réalisatrice.