Territoires

Territories

Revenant d'un mariage au Canada, cinq jeunes américains rentrent en voiture aux Etats-Unis en pleine nuit. Après quelques heures de route, ils se font arrêter en pleine forêt par deux soi-disant membres de la Police des Frontières. Alors qu'ils n'ont rien à se reprocher et sont morts de fatigue, ils se font néanmoins fouiller au corps et surtout intimider. Puis c'est le drame : suspectés de terrorisme, nos jeunes noceurs commencent à subir des interrogatoires plus que musclés. Devant le silence de leurs prisonniers, les deux types bizarres qui se prétendent policiers décident de les enfermer dans des cages cachées au cœur de la forêt et de continuer leurs investigations à l'abri des regards indiscrets et des habitants du cru par trop curieux. Qui va donc les entendre au milieu de nulle part ?

TERRITOIRES | TERRITORIES | 2010

Prix du meilleur thriller au BIFF de 2011, Territoires se base sur des faits réels survenus à la frontière américano-canadienne où des douaniers ont arrêté des citoyens américains, les obligeant à revêtir les combinaisons orange d'habitude destinées aux prisonniers et les enfermant dans des cages afin de les "cuisiner" à leur façon. Territoires c'est également le premier film du français Olivier Abbou, qui s'inspire de l'esthétisme des longs-métrages en vogue dans les années post-Vietnam ("Taxi driver", "Légitime violence", "Rambo", ou encore "Combat shock") et qui revendique aussi son admiration envers le cinéma de Michael Haneke et plus particulièrement son film "Funny games" pour son climax froid sans concession. Territoires c'est aussi un cinéma artisan sachant utiliser des techniques datées mais ayant fait leurs preuves : c'est le format 16mm qui est employé en tant que pellicule cinématographique, format autrefois usité pour les reportages et les films amateurs renvoyant au grain du cinéma gore des années 1970 ("Massacre à la tronçonneuse" et "Cannibal Holocaust" en tête). De plus, la lumière des séquences en forêt s'inspire pour beaucoup de "Délivrance". Et enfin, Abbou s'est aidé du "Mirror rig", un dispositif technique crée pour la réalisation de "Schizophrenia - Le tueur de l'ombre" et permettant des prises de vue effectuées au travers d'un miroir, ce qui accentue les plongées et contre-plongées. Bref que de bonnes influences. Mais il donne quoi le petit rejeton référentiel avec tout ce background ? Abbou réussit-il à s'affranchir de ses glorieux aînés ?

Force est de constater que pour son survival, notre frenchy s'est tout de suite refusé à ce que son "bébé" ressemble à un énième torture porn movie où toute surenchère est permise. Oubliez donc les scènes de supplices gore à base de viols avec objets contondants insérés dans tous les orifices possibles, démembrements fournis en geysers d'hémoglobine et autres énucléations généralement de rigueur. Ici, ce sont le hors-champ et les sensations provoquées par la suggestion qui priment et c'est tant mieux. Rassurez-vous tout de même, Territoires contient son lot de scènes chocs… Notre Olivier national s'est, afin de rendre son histoire la plus crédible possible, documenté sur les tortures physiques et psychologiques exercées réellement dans les camps de prisonniers tristement célèbres pour leurs pratiques à la limite du respect de la Convention de Genève. Guatanamo et tous les autres centres de rétention connus ont donc été passés au crible afin que le film soit véritablement ancré dans le réel et teinté de vérité et non pas de sensationnalisme. Et c'est justement ce qui apporte de la profondeur à ce survival : le discours politique sous-jacent. Ainsi, le point de départ de l'histoire part d'une idée originale : persuadés qu'ils ont arrêté des terroristes potentiels et qu'ils font finalement le bien, un couple de policiers patibulaires qui se sont connus lors de la Guerre du Golfe vont faire vivre un vrai calvaire aux passagers d'un véhicule conduit par un chauffeur trop basané à leur goût, en les séquestrant et suppliciant pour les faire avouer, comme on le fait si bien à Guantanamo. Cette façon de procéder renvoie assez directement au climat sécuritaire et de paranoïa ambiante qui règne dans la population américaine et ce, depuis les attentats du 11 septembre 2001. Les Etats-Unis d'Amérique deviennent ainsi des "territoires" à protéger contre les envahisseurs de tous bords, quitte à reconstituer une pâle copie de Guantanamo où la torture est autorisée et où l'on oublie la présomption d'innocence un peu trop facilement. Effrayant ! Justifié ainsi, ce survival se démarque de tous ses rivaux, du moins au début. En moins de temps qu'il ne le faut pour le dire, nos malheureuses victimes se retrouvent en pleine forêt isolée, enfermées dans des cages, vêtues d'uniformes orange très significatifs avec un sac à patate sur la tête et sont tour à tour interrogées et violentées par deux psychopathes nationalistes pensant qu'ils sont une menace pour leur pays. Seulement voilà, malgré une volonté claire de se démarquer des productions du même acabit, Territoires ne parvient pas à dépasser les clichés inhérents au genre. On retrouve ainsi : un groupe de personnages traversant de nuit une région forestière déserte où personne ne peut leur venir en aide, deux autochtones tortionnaires jamais soupçonnés par les forces de l'ordre locales, les tentatives d'évasion des victimes échouant à la dernière minute, etc. Ca sent le déjà-vu à pleins naseaux, dommage.

Et puis, le film prend le risque de changer de point de vue. Les torturés vont alors passer au second plan et le cinéaste va s'attarder sur le quotidien des deux sociopathes/bourreaux vivant au fond des bois. Soudain, Territoires bifurque à nouveau dans une toute autre direction, puisque désormais on va s'intéresser au détective privé chargé de retrouver nos chers disparus qu'on avait commencé à oublier. Alors certes, changer trois fois de point de vue dans un survival est audacieux, mais cela casse considérablement le rythme du film qui, après une demi-heure remarquable concernant les sévices infligés aux kidnappés, s'attarde sur deux péquenauds que la Guerre du Golfe a meurtri à tout jamais puis sur un détective privé au bord du gouffre en quête de rédemption et finit sur un épilogue somme toute dispensable. Ce pari périlleux et non récompensé est toutefois contrebalancé positivement par la musique du générique du début qui est proprement formidable ("Death in Vegas" de Dirge) car donnant le ton de ce qui va suivre et un casting principalement constitué de faciès quasi inconnus du grand public (à part Sean Devine et Roc LaFortune, acteurs de seconde zone), renforçant le côté réaliste de l'entreprise.

Ainsi, Territoires est un premier film inégal, parfois emprunté dans sa construction et l'utilisation des stéréotypes liés au genre. Toutefois, la première partie, celle concernant le martyre de "nos touristes qui n'auraient pas dû passer par là", bénéficie d'une tension réelle quasi palpable et la manière dont les choses vont petit à petit évoluer vers l'horreur pure est amenée très intelligemment, car le scénario, n'ayant somme toute rien de révolutionnaire, est assez bien écrit et surtout met au centre de son histoire des personnages victimes d'une visée politique d'actualité, du moins aux Etats-Unis. Ce voyage au bout de l'enfer sur les excès du patriotisme américain, plus basé sur l'aspect psychologique que le gore, s'avère finalement plutôt sympathique, pas terriblement original certes, mais largement au-dessus de la moyenne par son propos. Alors ne faisons pas trop la fine bouche et laissons-lui une chance. En plus, c'est français ma bonne dame !

TERRITOIRES | TERRITORIES | 2010
TERRITOIRES | TERRITORIES | 2010
TERRITOIRES | TERRITORIES | 2010
Note
3
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Vincent Duménil