House that jack built - the
House that jack built - the
Jack, tueur en série, revendique une soixantaine de meurtres. Cet assassin méthodique revient sur le sort qu’il a réservé à cinq victimes, toutes des femmes. Jack est fou, atteint de TOC et narcissique. Seuls les meurtres lui permettent de se soulager. Jack se prend pour un artiste, ce que conteste vigoureusement Verge, un vieillard à qui il se confie. Alors que l’ultime et inévitable intervention de la police ne cesse de se rapprocher, il décide contre toute logique, de prendre de plus en plus de risques...
L'AVIS :
Les cercles de l’enfer pour Jack :
"The House That Jack Built" ne fera pas l’unanimité. Tantôt décrit comme un thriller, tantôt comme un film horrifique, ou même une satire. Lars von Trier aborde plusieurs points : L’amour, l’enfance, la famille et coupe son récit par des réflexions artistiques ou philosophiques et tente de capturer l’essence du mal et de réfléchir sur sa représentation.
Nous avons ici un portrait raconté en cinq incidents et une narration quasi en voix off d’un serial killer du nom de Jack (Matt Dillon) qui fait une confession à Verge (Bruno Ganz). Jack est architecte et souhaite construire une maison mais ne trouve pas le bon matériel, mais c’est également un psychopathe narcissique (il se donne lui-même le surnom de Mr Sophistication). Devenu serial killer, il s’essaye à la photographie et commence à envisager son œuvre comme de l’Art. Des questions se posent alors… L’Art a-t-il besoin d’amour pour être légitime ? L’Art peut-il être uniquement basé sur le mal ?
Méditation sur la création :
"The House That Jack Built" est purement autobiographique pour Lars von Tier, le personnage de Jack est comme un double du cinéaste, souvent accusé de misogynie et d’apologie du nazisme. Le portrait de Jack est identifié aux formes du mal radical du nazisme étendu à la pratique parallèle de la chasse et du meurtre en série. Lars, trop amer, revenant sur ce qu’on a pu reprocher par le passé, de ses prises de parole provocantes (ses propos lors de la conférence de presse de "Melancholia" au Festival de Cannes en 2011) à la violence de certaines images de ses films, avec intégration des extraits d’"Antichrist", "Melancholia"...
Et que cette chute d’un homme aux Enfers pourrait bien être la sienne.
Jack est ce serial killer fait de multiples autres, telle une créature de Frankenstein (des comportements de Bundy, de la chance de Dahmer, les lunettes à grands carreaux de Schaefer), et la comptine d’enfance qui lui est associée (déjà présente dans "Element of Crime" où il y a la première apparition de Jack) renverrait vers la musique d’Edvard Grieg (Dans l’antre du roi de la montagne) de la pièce de théâtre Peer Gynt (Henrik Ibsen, 1866) ouvrant "M. le maudit" (1931) de Fritz Lang.
Jack va s’évertuer à nous convaincre tout au long de son discours avec Verge que la mort, la putréfaction et la destruction font partie intégrante de l’Art, et en sont même ses morceaux les plus importants. Nous avons même droit à un florilège de tableaux de natures mortes, de scènes de chasse, de processus de vinification, qui nous montre que l’Occidental·e aime faire du sordide le Beau, contrairement à Verge (Verge, c’est Virgile, auteur de l’Énéide et guide de Dante dans sa Divine Comédie, joué par l’acteur qui dans La Chute interpréta Hitler) qui ne voit dans l’Art que l’expression de l’Amour chrétien.
Sa vision de l’Art n’est pas seulement dévouée aux icônes et repose également sur une compréhension parfois superficielle de l’esthétique (exemple avec le montage accordé à Glenn Gould qui d’après Jack « représente l’Art »), sacrifiée au profit grandeur, comme le montre la reproduction de Dante et Virgile aux Enfers, où le tableau de Eugène Delacroix est réduit à ses signes les plus imposants (l’immensité du ciel, la lueur démoniaque, les corps musclés des damnées).
"The House That Jack Built" joue l’hyper-réalisme dans la représentation de la violence et de son contrecoup donné par sa déconstruction analytique (comme "Orange mécanique" de Kubrick et "Funny Games" de Haneke) le tueur est ici défini au travers d’une dichotomie. La bande-son ("Fame" de David Bowie) complètement décalée traduit parfaitement l’état d’esprit frénétique et euphorique dans lequel on peut se trouver lorsqu’on a tout abandonné pour faire de l’Art. Cette jouissance créatrice et destructrice, tout en même temps.
"The House That Jack Built" se permet de plonger littéralement dans les tréfonds de l’enfer de Jack/Lars qui tente tant bien que mal de s’échapper. Verge accompagne son Dante au plus profond de la Terre et continue à faire réfléchir le public sur le sens d’une œuvre. Un métrage qui peut être également vu comme un adieu modeste et discret de Lars.