Calvaire
Calvaire
Le chanteur de variété Marc Stevens est en route vers le sud pour un gala de Noël lorsque sa camionnette tombe en panne en pleine forêt. Avec l'aide d'un curieux personnage qui recherche sa chienne perdue, il sera accueilli à l'auberge Bartel. Le propriétaire des lieux voit en Marc une sorte de réplique de sa femme Gloria, qui l'a quittée, et tente par tous les moyens de garder le chanteur auprès de lui.
Sur un plan personnel, "Calvaire" m'a marqué comme seuls l'avaient fait "Evil Dead" et "Massacre à la tronçonneuse" avant lui. Je suis donc retournée le voir une deuxième fois pour vérifier mes premières impressions et je suis heureuse de dire qu'elles sont intactes. Mon avis est de ce fait difficilement objectif. Et certains y verront des SPOILERS dans ma fiche bien qu'elle n'en contienne pas.
Dès le départ, l'ambiance est glauque, les décors sont tristes et les personnages pitoyables. L'on se rend vite compte à quel point la vie de Marc Stevens est vide de tout sens, à quel point il a besoin d'être ce que d'autres attendent de lui. Cela se vérifiera d'ailleurs lorsqu'il se trouvera en face de ses tortionnaires : eux non plus n'ont aucune personnalité ni aucun moyen d'expression, rien pour les définir en tant qu'êtres humains individuels. La violence de toute sorte, à commencer par la zoophilie, s'effectue et se subit en groupe, donnant lieu à un processus de déshumanisation terriblement efficace.
Tous les acteurs semblent nés pour leurs rôles, avec une mention toute particulière pour Jackie Berroyer. Il est tour à tour odieux et pathétique, monstrueux et humain et personnellement, je ne l'aurais jamais imaginé capable de jouer un tel personnage. Laurent Lucas est impeccable en victime désignée qui ne se rebelle jamais, un homme dont le destin semble l'attendre à l'auberge depuis toujours.
La réalisation est drôlement efficace pour un premier long métrage bien que l'on ressente fortement la présence de Benoît Debie, le chef opérateur de Gaspar Noë sur "Irréversible", notamment durant une scène clé vers la fin. Ici, les bruitages sont retravaillés avec soin, la caméra bouge dans tous les sens puis se stabilise, pour ensuite monter au plafond et surplomber l'action, donnant l'impression qu'elle pourrait nous plonger dedans sans crier gare. L'on a presque envie de tendre les mains en avant pour amortir le choc imaginaire de ce petit tour de force filmique.
A la première vision, une chose m'avait frappée d'emblée : la neige tombe et fond très vite là-bas... Je sais bien que Du Welz n'a pas eu d'autre choix que de faire avec et justement, là où certains n'y verraient qu'un problème de continuité, je me suis sentie d'autant plus déstabilisée que le film flirte déjà avec le surréalisme. Une autre chose particulièrement appréciable est le fait que le personnage de Gloria reste invisible tout le long du film. Qui était-elle ? A-t-elle même existé ? Et que s'est-il passé entre elle et les villageois pour que Bartel se méfie autant ? Autant de questions qui ne trouvent heureusement aucune réponse ici, ce qui a pour résultat d'approfondir le malaise et enflammer l'imagination du spectateur davantage.
Si vous avez lu jusque là, vous devez vous dire "Oh ! Mais c'est le chef d'oeuvre de la décennie, ou bien ?" Les avis négatifs ne tarderont pas à pleuvoir sur le film. Certains diront "C'est ennuyeux..." Je répondrais : "Avez-vous déjà entendu parler du concept "Raconter une histoire" ? D'autres diront "Ce n'est pas original..." Je pense qu'il n'existe pas d'histoires originales, seulement des façons originales de les raconter. Ou encore "La scène du repas est trop similaire à celle de TCM pour être honnête et ça gâche tout..." Quand Tarantino fait du repompage intégral d'autres oeuvres et appelle cela un "film personnel", tout le monde hurle au génie. Etc. Que personne ne se sente visé, ce n'est que mon avis tout à fait subjectif.
Je pourrais continuer longtemps que cela se résumerait toujours à ceci : Je n'ai pas l'impression d'avoir vu un film mais d'avoir été percutée par un camion 38T. Alors donnez une chance au cinéma francophone et allez voir "Calvaire". Vous aimerez ou pas - chacun sa sensibilité - mais il faut au moins reconnaître la volonté de certains de sortir un peu des sentiers battus.