Tigers are not afraid
Vuelven
Alors qu’elle se retrouve seule après que sa mère ait disparu, la jeune Estrella fait la rencontre d’un petit groupe de quatre garçons orphelins. De jeunes enfants livrés à eux-mêmes et qui survivent dans cette jungle urbaine grâce à de petits larcins et à de bonnes cachettes. Mais voilà, après que l’un d’entre eux ait volé le téléphone portable d’un narcotrafiquant, ils se retrouvent pourchassés par toute une bande de voyous connus pour leur agressivité et désireux de récupérer l’appareil. Dans cette « chasse à l’enfant », Estrella commence à entendre des voix et à avoir ce qui ressemble fortement à des hallucinations, comme des messages envoyés par sa défunte mère…
L'AVIS:
"Vuelven" (plus connu chez nous sous le titre "Tigers are not afraid" en festival et "Ils reviennent…" sur support laser en France) est un thriller surnaturel/fantastique sorti en 2017 et nous provenant du Mexique.
Un film qui s’est surtout fait une réputation en festival après ces nombreuses apparitions remarquées (Fantasia, NIFFF…) et surtout cette récolte de prix prestigieux : le « Prix du meilleur cinéaste » au Fantastic Fest à Austin, au ScreamFest de Los Angeles et à l’After Dark de Toronto, sans oublier en France l’« Oeil d’Or » et le « Prix Ciné+ Frisson » au PIFFF ou encore le « Silver Raven » et le « Prix du Public » en Belgique au BIFFF.
Et pourtant, la réalisatrice Issa Lopez est surtout connue au Mexique pour ses comédies et il s’agit ici de sa première incursion dans le fantastique. Et quel succès ! Son œuvre ayant notamment été saluée par deux figures importantes dans cet univers qui nous est si cher : Stephen King et Guillermo Del Toro (on pense d’ailleurs à "L’échine du diable" en regardant "Tigers are not afraid"…).
Dans son film, Issa Lopez cherche avant tout à nous montrer ce qu’est devenu le Mexique contemporain. Celui qui ne cesse de faire parler de lui pour ses faits divers, ses meurtres (principalement des féminicides), ses enlèvements, ses trafics de drogues, sa corruption… Un Mexique où l’insécurité est permanente et où tout peut arriver quelque soit le secteur (cette fusillade tout près d’une école en début de film en est l’exemple-même). Un sentiment d’insécurité renforcé par le fait que personne ne semble pouvoir remédier à la situation au vu des personnages qui nous sont dépeints par la réalisatrice-scénariste : un politicien qui s’avère être le chef d’un gang dangereux, des policiers refusant de venir en aide pour ne pas avoir d’histoire avec les narcotrafiquants du coin…
La pauvreté est également montrée du doigt dans "Tigers are not afraid" avec tous ses quartiers délabrés et ses enfants orphelins livrés à eux-mêmes après que leurs parents aient été assassinés ou kidnappés. On nous dépeint ici avec beaucoup de dureté et d’émoi la difficile vie extrêmement précaire de ces enfants vivant sur les toits des immeubles, squattant des maisons ou des halls abandonnés, changeant sans cesse d’abris pour ne pas être repérés et kidnappés à leur tour par des trafiquants d’organes et autres dangereux criminels qui rôdent dans ces rues défraichies.
Issa Lopez nous livre ici un film dramatique de par tous ses aspects qui plonge rapidement dans le thriller avec cette histoire de téléphone portable volé - que veut à tout prix récupéré cette crapule de politicien - et ce mystère qui plane autour de toutes ces personnes disparues dans le secteur où se cachent nos jeunes protagonistes.
Mais voilà, plutôt que de rester uniquement dans le drame social réaliste, notre cinéaste décide d’y apporter une touche de fantastique en saupoudrant son récit d’imaginaires et en nous narrant son histoire du point de vue de l’un de ces « enfants de la rue ». Des jeunes qui voient différemment cette vie sombre qui leur est destinée et s’imaginent alors des histoires proches des contes de faits que leur racontaient leurs parents avant de s’endormir. Ils perçoivent le danger autour d’eux, permanent et imprévisible, mais comme tout enfant de leur âge ils veulent profiter de choses simples de la vie (jouer au ballon, faire des spectacles…) et cette bulle imaginaire (limite protectrice) qu’ils se sont créée leur permet de s’évader le temps de quelques heures avant de revenir à la réalité et de devoir fuir, toujours et encore, de nombreuses menaces.
Et c’est principalement notre jeune héroïne Estrella qui est le vecteur de cette touche fantastique dans "Tigers are not afraid" mais à un tout autre niveau. En parfait réceptacle, elle est une passerelle entre le monde des morts et le monde des vivants et porte en elle une lueur d’espoir pour mettre à jour la vérité sur la disparition des nombreux adultes de son vaste quartier. Pour cela, la jeune fille reçoit sans cesse des signaux, notamment de sa défunte mère, qui ont pour objectif de la mener vers la vérité. Des signaux surnaturels, tantôt inoffensifs et nous rappelant que nous sommes face ici à de jeunes enfants (des petits dragons ailés qui représentent en quelque sorte la colombe de la liberté, une peluche qui prend vie et montre le chemin à emprunter…), tantôt plus horrifiques pour nous rappeler la cruauté du monde adulte (des apparitions de cadavres en putréfaction enfermés dans des sacs, des voix sombres et inquiétantes…), mais tous ces signaux convergent vers la vérité, cette lumière au fond du tunnel, même si pour cela il faut savoir souffrir, perdre des amis en route… Car oui "Tigers are not afraid" est émouvant dans sa première partie nous dépeignant la miséreuse vie de ces enfants orphelins mais également cruel dans sa seconde moitié et beau dans son final (je n’en dirai pas plus).
Doté d’un jeune casting remarquable, le film d’Issa Lopez mêle les genres (drame social, thriller fantastique) pour nous narrer cette histoire émouvante et cruelle à la fois, teintée de surnaturel et rappelant parfois des films comme "The lovely bones" ou "L’échine du diable" sur bien des aspects ("Maniac" n’est pas très loin non plus avec son fameux final horrifique). Très immersif (qu’il s’agisse des décors réalistes ou de cette vie hautement précaire qui nous est montrée, fourmillant de nombreux détails), "Tigers are not afraid" est une œuvre sombre sur le Mexique contemporain (nous ne sommes pas loin parfois du documentaire dans certains passages, ce qui renforce indéniablement le côté réaliste), une critique sociale de la société là-bas, se servant du fantastique comme vecteur pour nous raconter cette histoire du point de vue d’un enfant. Habile et réussi.