Sweet movie
Sweet movie
Miss Canada remporte le concours du plus bel hymen. Son prix ? Une union avec un milliardaire, magnat de l’industrie laitière. Confrontée aux préférences sexuelles singulières de ce dernier et subissant plusieurs humiliations au passage, elle fuit rapidement le nid marital pour partir à la découverte du monde qui l’entoure. En parallèle, Anna Planeta, capitaine de son embarcation chargée de sucreries et ornée de la tête de Karl Marx, séduit un marin russe et quelques enfants passés par là…
L'AVIS :
Considéré comme une comédie érotique et comme un film flirtant avec le cinéma expérimental, Sweet movie est constitutif d’une exploration sans concession de la sexualité, du capitalisme et de la répression. Sweet movie arrive chronologiquement trois ans après WR : Mysteries of the Organism (1971), autre œuvre majeure de Dusan Makavejev, qui lui a déjà permis d’explorer les thèmes de la sexualité et du communisme, sur fond de psychanalyse. Autre élément que l’on y retrouvait déjà : le mélange entre fiction et images documentaires.
Sweet movie suit parallèlement deux histoires. La première intrigue voit Miss Canada 1984 (interprétée par Carole Laure) remporter un concours de virginité. Ce dernier est organisé sur le mode du concours de beauté classique, avec un médecin effectuant l’évaluation de l’hymen. À la clé se trouve un mariage avec un milliardaire, dont la mère est organisatrice dudit concours. Cette union s’avère rapidement être tout sauf idyllique, notre milliardaire ayant quelques troubles compulsifs liés à l’hygiène, nettoyant ainsi intégralement le corps de sa dulcinée à l’alcool avant d’entamer un rapport sexuel. Pour parfaire le tout, elle subit régulièrement quelques humiliations de sa part, ainsi que du reste de l’entourage évoluant autour du couple. Ne supportant plus cette union, elle s’enfuit, son cheminement évoluant au gré de ses singulières rencontres.
Rejoignant Paris dans une valise, elle y rencontre un chanteur, El Macho. Elle a un rapport sexuel public avec ce dernier, rapidement interrompu par des nonnes. Entrant désormais dans un état atone en mode traumatisme post-coïtal, elle est recueillie au sein d’une communauté. Leurs pratiques totalement libres mélangent çà et là urophilie, scatophilie, et émétophilie. Ce n’est pas sans rappeler les performances réalisées par les membres du mouvement artistique des actionnistes viennois. Otto Muehl, présent au casting, en était une des figures principales, avant de constituer sa propre communauté (l’Aktionsanalytische Organisation – plus communément appelée la commune Friedrichshof), conçue comme un véritable projet de contre-société au tout début des années 70. Cependant, les actions présentes ici à l’écran, bien que parfois explicites, restent évidemment bien plus softs que celles des performances précitées.
La seconde intrigue présente Anna Planeta (jouée par Anna Prucnal), naviguant sur les canaux à bord de son embarcation ornée d’une effigie de Karl Marx. Anna est une figure ambiguë, représentative d’une forme de sexualité radicale et décomplexée. Son bateau devient symbole du communisme révolutionnaire pouvant se faire ronger par ses propres idéaux. Elle y vit une relation passionnelle avec un marin recueilli à bord. Elle y séduit également de jeunes garçons, à qui elle offre un spectacle d’effeuillage des plus plaisants.
Nous avons donc affaire à un film politico-érotique, sur le mode satirique. L’aspect politique peut sembler excessif et manquer cruellement de subtilité, a fortiori dans un contexte contemporain, où le communisme est moins d’actualité. La première intrigue représente bien évidemment une critique de la réification des corps féminins, avec le personnage de Miss Canada, trimballée comme une marchandise. La seconde peut résonner comme une allégorie des échecs des utopies, et en particulier le communisme, qui dans sa forme la plus dogmatique, peut aboutir parfois à l’oppression et à la violence. De plus, le film aborde également la sexualité d’une manière totalement libre, faisant fi de la morale. Sur ce plan, la présence d’Otto Muehl résonne comme une ironie.
La communauté qu’il a élaborée devait être le théâtre de pratiques libérées. Peut-être un peu trop libérées puisqu’il sera condamné au début des années 90 à une peine de prison ferme pour viols et abus sur mineurs, autre thématique qui trouve sa résonance dans le film. Dans ce métrage, certaines préférences sexuelles sont à l’honneur (émétophilie, coprophilie...etc) sans toutefois tomber dans un jusqu’au boutisme en termes de surenchère que connaîtront d’autres réalisateurs, cherchant sans cesse la scène la plus extrême possible. Ici, ce n’est jamais une fin en soi. Il ne s’agit aucunement d’un test d’endurance pour le spectateur. On se trouve même à trouver d’une grande beauté la scène mettant en jeu Carole Laure, couverte de chocolat fondu luisant. Il s’agit encore une fois d’un film érotico-arty, typique de son époque. Les histoires sont racontées sur le mode du conte ou de la fable, procédé aidant également à amoindrir l’impact des scènes explicites auprès des spectateurs.
Sweet movie est un film qui défie les conventions et mélange les genres. Est-ce une comédie ? Est-ce un film expérimental ? Est-ce un drame ? Sans doute un peu de tout ça. Certains n’y verront que de la provocation gratuite, là où d’autres y verront une satire brillante, poussant à la réflexion sur les concepts de liberté et d’autorité. Bien que controversée, il s’agit là d’une pièce fondamentale du cinéma expérimental des années 70. Une chose est certaine, il s’agit là d’une œuvre qui ne laissera aucun spectateur indifférent.
* Sortie en 2025 chez LE CHAT QUI FUME