Affiche française
Europa | Europa | 1991
Affiche originale
Europa | Europa | 1991
Un film de
Date de sortie
Genre
Couleur ?
oui
Musique de

Europa

Europa

Leopold Kessler débarque des États-Unis dans une Allemagne ravagée par les bombardements alliés. Grâce à son oncle allemand, il décroche un emploi de contrôleur des wagons-lits dans la compagnie ferroviaire Zentropa. Autour de lui, les blessures de la guerre tardent à se refermer et c'est dans ce climat délétère qu'il rencontre Katharina, la fille du dirigeant de Zentropa...

Europa | Europa | 1991

L'AVIS :

Lars von Trier prétend s’être inspiré d’un livre pour enfants danois intitulé sobrement Le train pour créer l’aspect formel du film, néanmoins c’est surtout dans le cinéma expressionniste allemand, mais aussi au néoréalisme italien, pour l’intrigue, qu’il faut chercher ses origines. On pense immanquablement à des œuvres comme "Le cabinet du Docteur Caligari", au "Vampyr" de son compatriote Dryer ou à "Allemagne année zéro" de Roberto Rossellini dans son traitement de l’histoire.

Celui qui prétend avoir reçu à la naissance une poussière de Troll dans l’œil (référence à un conte d’Andersen) et qui de ce fait ne peut plus voir l’humanité que par son côté mauvais et pervers livre ici une fois de plus un film terrible sur les comportements humains, un film fait de méchancetés, de cynismes et de bassesses sans fond.

Troisième opus de sa trilogie dite Europa (après "Element of crime" et "Epidemic"), une trilogie d’ailleurs singulière tant les trois métrages ont peu de choses en commun si ce n’est l’utilisation de l’hypnose sous plusieurs formes et la plongée volontaire d’un idéaliste dans un monde traumatique en lambeaux qui va le happer et le détruire avec ses illusions allant même jusqu’à ce trahir lui-même. Une vision d’un cynisme extrême qui porte celle que le réalisateur a sur les hommes, leurs espérances et la futilité fondamentale de la vie. Perdre ou trahir ses idéaux c’est là le véritable enfer selon Saint Von Trier.

Le film s’ouvre sur une des plus fascinantes et des plus immersives scènes de l’histoire du cinéma : Noir et blanc, gros plan fixe sur les rails d‘un train qui défile tel une pellicule de film, voix-off de Max Von Sydow égrenant le contexte de un à dix, nous invitant à une séance d’hypnose volontaire. De fait c’est le premier film dont nous sommes le héros, en entrant en complète harmonie, sympathie, empathie avec le personnage principal, anti-héros typique du cinéma de Von Trier, tiraillé, baladé, emporté par une histoire qu’il ne contrôle pas.

Vision de l’enfer sinistre qu’est devenu l’Allemagne, le film se situe quelques mois après la défaite totale du nazisme, cette nation autrefois si sûre de sa force est écartelée entre remords, regrets, rédemption impossible et reconstruction sous la houlette de l’occupant américain. Les dernières poches de résistance nazie continuent de semer momentanément le désordre.

Comme d’habitude le réalisateur danois ne tranche pas, ne choisit pas un camp, laissant dans l’ambiguïté le spectateur, où sont les bons ? Qui sont les méchants ? Doit-on pardonner ? Le peut-on ? Et pour cela il crée de manière magistrale une ambiance étouffante, oppressante, une certaine vision de l’enfer en somme, en situant la plus grosse partie du récit à l’intérieur d’un train qui parcourt vaille que vaille la patrie dévastée, croisant américains, nazis, riches, pauvres, contrôleurs, passagers, résistants, juifs, dans un maelstrom de gris, de noir et de blanc.

Renforçant la sensation d’hypnose onirique dans lequel il nous plonge, Lars Von Trier met en avant une mise en scène à la recherche formelle démente et unique en son genre. Ayant filmé l’arrière-plan (les décors) et le premier plan (les personnages et l’action) de manière séparée, puis les ayant sur-imprimés au montage, cela lui permet non seulement de multiplier le nombre de niveaux possibles visibles à l’écran (jusqu’ à quinze niveaux différents) mais aussi, au-delà de la performance technique, de mêler passé, présent, rêve, réalité, couleurs, noir et blanc, symbolisme au gré de ses envies. Une réussite formelle qui démultiplie l’intrigue, la réflexion et la vision claustrophobe du métrage comme sous hypnose justement.

On suit donc les aventures de Kessler, américain naïf venu en Allemagne (le pays de ses ancêtres) pour donner un peu d’amour à ce pays, pris au piège entre son oncle contrôleur de train malade de l’ordre, des horaires et d’un temps ancien qui ne reviendra plus ; une famille d’industriels ferroviaire enrichie sous le régime Nazis en organisant le transport des Juifs vers les camps de la mort. Famille aux multiples facettes composée d’anti et de pro-nazis repentis ou non. Ballotté entre des intrigues consubstantielles d’un pays dont il ne connaît rien, Kessler n’existe pas, c’est un pantin, une marionnette dont tous et toutes se serviront et qui finiront probablement par le plonger dans la folie.

C’est aussi une brillante quoique extrêmement noire et cynique (mais on est chez Von Trier quand même) vision de la situation de l’Allemagne de l’immédiat après guerre. Désolation, morbidité, pauvreté, suicide, misère, dévastation, incommunicabilité, les gens y sont tous présentés comme mortifères et coupables non seulement de ce que leur pays a fait, mais aussi coupables d’avoir perdus et coupables d’être encore en vies.

Noirceur extrême, d’une beauté à couper le souffle, interprété avec talents, on sort de ce film en proie à un certain vertige... alors laissez vous emporter par les roulis d’un train qui ne va finalement nulle part sauf en enfer.

Europa | Europa | 1991
Europa | Europa | 1991
Europa | Europa | 1991
Bande-annonce
Note
5
Average: 5 (1 vote)
Lionel Jacquet