Jack l'éventreur (1944)
The lodger
Londres vit dans la terreur depuis qu'un tueur en série, que la presse a baptisé Jack l'éventreur, a assassiné quatre femmes spécialisées dans les numéros de cabaret. La police mène l'enquête mais le meurtrier reste introuvable. Ce dernier trouve refuge dans la maison cossue des Burton, un couple de bourgeois à qui il loue plusieurs chambres en se faisant appeler monsieur Slade. Il apprend que leur nièce, Kitty Langley, est une chanteuse de cabaret et qu'elle est en passe de devenir la nouvelle coqueluche des Londoniens adeptes de ce type de spectacle...
L'AVIS :
Ah Jack l'éventreur ! L'un des personnages les plus énigmatiques des affaires criminelles et assurément l'un des serial-killers les plus connus au monde. On ne compte plus les romans, documentaires, bandes-dessinées ou films qui lui sont consacrés. Dès 1927, Alfred Hitchcock adapte un roman de Marie Belloc Lowndes, dédié au tueur en série de Whitechapel, avec Les Cheveux d'Or, ou The Lodger. En 1944, John Brahm, réalisateur allemand qui a déjà mis en scène une dizaine de films, dont l'étrange "The Undying Monster" en 1942, adapte à son tour le roman de Marie Belloc Lowndes et livre avec The Lodger, titré Jack l'éventreur en France, un très bon film noir à l'ambiance gothique et mystérieuse.
Sans user de la moindre violence frontale (on ne verra jamais le meurtrier assassiner ses victimes), John Brahm distille une atmosphère macabre et poétique à la fois, usant du brouillard lors des séquences nocturnes (élément indispensable pour recréer les quartiers de Londres mais aussi pour dissimuler son anti-héros aux yeux de la police et de ses victimes) mais également de nombreux effets de lumière et jeux d'ombre sur l'inquiétant monsieur Slade, qui le rendent, justement, encore plus inquiétant qu'il ne l'est déjà. Thriller et film noir avant tout, Jack l'éventreur tire sa réussite de la mise en scène sobre mais intelligente de John Brahm bien sûr, mais surtout de la prestation étonnante de l'acteur Laird Cregar, dont le regard halluciné participe amplement à donner de l'épaisseur et une réelle personnalité à son personnage. De corpulence assez massive, Laird Cregar ne verse pourtant pas dans le cinglé frappadingue psychotique mais parvient, grâce à ses expressions de visage principalement, à jouer avec subtilité, se montrant parfois charmant et philosophe, parfois peu sur de lui ou inquiet, mais également froid et déterminé. Une prestation vraiment remarquable qui donne tout son intérêt à cette version de Jack l'éventreur qui choisit de remplacer les prostituées de Whitechapel par des chanteuses ou anciennes actrices de music-hall ou de cabaret. Si l'identité du meurtrier est connue et dévoilée peu de temps après la très bonne scène d'introduction, son motif reste par contre à deviner, pour nous, spectateurs.
A-t-il une dent contre les actrices de ces spectacles décadents ? A-t-il été amoureux d'une chanteuse ou d'une danseuse de cabaret et leur histoire s'est-elle mal terminée ? Sa mère était-elle une de ces femmes libres qui n'hésitent pas à charmer les hommes grâce à leur numéro ? Il a vraisemblablement un souci avec les actrices de toute façon puisque la première chose qu'il fait après avoir loué une chambre aux Burton est de retourner tous les tableaux d'actrices qui sont cloués au mur de cette dernière. Toutes ces questions, toutes ces interrogations concernant son mobile trouveront bien sûr une réponse. Mais John Brahm prend tout son temps pour nous donner cette réponse, ce qui maintient évidemment notre intérêt. Le suspense est savamment entretenu et le réalisateur joue avec ses personnages avec parfois beaucoup d'humour noir. La maîtresse de maison a de plus en plus de doute concernant son drôle de locataire, qui sort tard le soir, ne passe que par la porte arrière de sa demeure, brûle sa sacoche noire après que la presse est déclarée que le tueur en portait une. Mais ses doutes sont de suite contrebalancés par les affirmations de son mari qui trouve à chaque fois une circonstance atténuante aux agissements de monsieur Slade ! Autre atout du film, la présence du toujours sympathique George Sanders en inspecteur de police qui succombe aux charmes de Kitty Langley et s'octroie le devoir de la protéger du serial-killer.
Cette dernière est interprétée par la charmante Merle Oberon. Si la police semble vraiment dépassée par les événements, on appréciera néanmoins la scène dans laquelle George Sanders utilise de la poudre pour dévoiler les empreintes digitales de monsieur Slade afin de les confronter avec celles retrouvées sur les lieux des crimes. La scène finale est de très bonne tenue et propose des plans et des cadrages ingénieux, amplifiant le jeu de lumière et les clairs/obscurs qui donnent cette fois toute sa dimension psychotique à l'acteur Laird Cregar, qui tournera la même année dans un autre film de John Brahm, Hangover Square, avant de décéder d'une crise cardiaque le 9 décembre 1944. Jack l'éventreur reste sa prestation la plus mémorable et le film mérite d'être vu rien que pour lui.
* Disponible en DVD et BR chez RIMINI EDITIONS