Phase IV
Phase IV
Ernest Hubbs, un biologiste anglais, observe un dérèglement du comportement des fourmis dans une vallée de l’Arizona. Des espèces autrefois en conflit se mettent à communiquer entre elles, tandis que leurs prédateurs habituels disparaissent de façon inquiétante. Le professeur recrute le scientifique J.R. Lesko, spécialiste du langage, pour étudier ce curieux phénomène. Ce qu’ils vont bientôt observer sur place dépasse l’entendement…
L'AVIS :
Mondialement célèbre pour son travail de graphiste et son travail sur les génériques de films (il conçu, entre autres, ceux de L'Homme au Bras d'Or, de Sueurs Froides, de La Mort aux Trousses, de Psychose, de West Side Story et j'en passe), Saul Bass décide de réaliser son propre film au début des années 70. Ce sera d'ailleurs l'unique long-métrage de sa carrière. Phase IV, puisque c'est de lui qu'il s'agit, est une oeuvre atypique, un film de science-fiction, d'anticipation même, qui nous propose une terrifiante histoire de fourmis voulant dominer le monde. En 1971, un faux documentaire nommé Des Insectes et des Hommes nous présentait déjà les insectes de manière angoissante.
Saul Bass va encore plus loin avec Phase IV et son équipe de deux scientifiques confrontés à un phénomène inexpliqué concernant donc des colonies de fourmis dans le désert de l'Arizona. Ces dernières ont développé un comportement inattendu envers leurs autres congénères, ne se chamaillant plus mais interagissant ensemble, toutes ralliées à une reine unique. Bien éloigné des films des années 50 mettant en vedette des animaux ou des insectes géants, à l'image Des Monstres attaquent la Ville si on prend l'exemple des fourmis, Phase IV possède un aspect ultra-réaliste, et beaucoup plus perturbant, puisqu'avec l'utilisation maîtrisée de la macro-footage, le réalisateur a pu filmer en train gros plan de véritables fourmis, n'ayant jamais recours à des effets-spéciaux. Le résultat à l'écran est assez prodigieux puisqu'on a la réelle impression de se déplacer avec les fourmis, d'entrer dans leur galerie, de suivre la colonie, de vivre dans cette véritable société entièrement dédiée à leur reine. Une reine intelligente, capable de résister au poison mis en place par les scientifiques et de pondre de nouvelles fourmis immunisées face au produit destiné à les éradiquer.
L'ambiance spéciale du film provient du fait qu'à chaque tentative des scientifiques (Nigel Davenport, Michael Murphy) d’éliminer les fourmis, celles-ci parviennent à s'en sortir et mènent une contre-attaque nettement plus efficace, réussissant à endommager le système de climatisation de la station d'observation humaine par exemple, qui, placée sous un soleil de plomb, ne parvient donc plus à être refroidie. On assiste petit à petit à une véritable guerre entre le camp humain et le camp des insectes et ça fait froid dans le dos. Ou quand l'infiniment petit ne laisse que peu de chance de survie à l'infiniment grand. Phase IV nous remet à notre place et nous démontre par A+B que malgré notre taille, nos savoir, nos armes, nous sommes loin d'être les plus forts. Certaines images sont impressionnantes, comme la contre-attaque des fourmis vis à vis d'une mante religieuse, par exemple, ou quand ces petites fourmis sortent de l'intérieur de la paume d'une main d'un corps sans vie. Bénéficiant d'une mise en scène épuré mais visuellement superbe, avec toutes ces formes géométriques qui s'entremêlent, Phase IV nous renvoie bien souvent au film de Kubrick, 2001 l'Odyssée de l'Espace. Outre l’esthétisme du film, on y trouve en effet de nombreuses similitudes, comme ces espèces de monolithes de terre que les fourmis ont confectionné et qui ressemble au monolithe noir de 2001.
Le film ne se veut pas du tout comme un film d'action, on assiste simplement aux expériences menées par le biologiste et le spécialiste du langage, ce dernier tentant de comprendre le langage des fourmis afin d'essayer de communiquer avec elles. Et quand il y arrive, il doit bien se rendre à l'évidence : ce n'est pas lui et son associé qui mènent la danse mais bel et bien les fourmis, qui les étudient ! Flippant à souhait ! Avec ces images tantôt réalistes, tantôt psychédéliques, Phase IV est une véritable expérience cinématographique hors norme, intrigante et brillante. C'est également une fable écologique, nous mettant, comme souvent dans le cinéma 70's, en garde contre nous même. Original et inventif, Phase IV n'a pas rencontré son public lors de sa sortie, malgré l'obtention du Prix du Jury au festival d'Avoriaz en 1975. C'est pourtant une oeuvre-phare des 70's, qui mérite largement d'être redécouverte.
* Disponible en BR et coffret collector DVD + BR + LIVRE chez CARLOTTA FILMS